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mes enfans, reculez-vous un peu, je vous prie. — Reculez-vous, vous dis-je. — Reculez-vous, ou je vous assomme. » Ce personnage du Dominiquin m’a rappelé la scène de l’Henri VIII de Shakspeare où le portier du palais s’efforce, avec l’aide de son valet, de repousser le peuple de Londres, accouru pour voir le cortège du baptême d’Elisabeth. « Vous allez finir votre tapage tout à l’heure, eh ! polissons ! Eh ! là-bas, l’homme à l’habit de camelot, sautez hors de la barrière, ou je vais vous flanquer par-dessus la palissade. »

La fresque du Martyre de saint Sébastien est un autre remarquable témoignage de cette douce nature du Dominiquin, qui recule devant tout ce qui est cruel ou violent. Là encore le peintre n’a représenté que les apprêts du supplice. Le cortège vient d’arriver à sa destination, et les deux foules, païenne et chrétienne, qui ont suivi, l’une par curiosité, l’autre par affection, se pressent autour du martyr. Ce premier moment de pêle-mêle qui suit l’arrivée de tels cortèges a été dramatiquement saisi et reproduit par le peintre ; chrétiens en larmes, oisifs curieux, soldats, bourreaux, dominés par un officier à cheval qui va tout à l’heure les faire rentrer tous dans leurs rangs respectifs, se sont un instant confondus dans un pittoresque désordre. En bas, sur le premier plan, des jeunes gens préparent ou ramassent des flèches. — C’est une belle œuvre, mais qui parle moins au cœur que la fresque de saint André, qui pourtant est inférieure pour la composition et le coloris.

Mais quoiqu’il ait d’ordinaire esquivé habilement la violence de tels sujets, c’était encore trop, dirait-on, pour la nature du Dominiquin que de reproduire même les préludes de ces spectacles de brutalité. Son pathétique à lui, c’est celui des grandes scènes innocentes et pures de la religion. Saint Pierre aux liens miraculeusement délivré par les anges, saint François d’Assise s’affaissant sous la douleur volontairement cherchée des divins stigmates, saint Jérôme se faisant transporter à la table sainte pour recevoir sa dernière communion, voilà ses victimes et ses martyrs. De la Délivrance de saint Pierre, petite toile qui se voit à la sacristie de Saint-Pierre in vincolis, nous n’avons autre chose à dire sinon que c’est une œuvre des plus amusantes à regarder à cause de la lumière bleue qui émane de l’ange et qui remplit tout le tableau d’une diablerie de feu de Bengale. Ce genre de mérite pourra paraître puéril à beaucoup de lecteurs, mais il sera certainement apprécié de tous ceux qui auront vu, comme nous, quelque vieil édifice païen, les thermes de Caracalla par exemple, éclairé par les artifices de la pyrotechnie romaine. L’Extase de saint François à l’église des Capucins est une œuvre exquise qui ne jouit pas de toute la réputation qu’elle mérite par suite d’un concours de circonstances toutes plus