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l’intérieur et sa gloire au dehors, mais qui, après avoir eu l’occasion de montrer ici leur puissance, sont devenus les élus des grands collèges et les favoris de la nation. » Paroles curieuses dans la bouche de celui qu’on allait, cinq années plus tard, accuser de vouloir le suffrage universel ! Cette défense était un témoignage de gratitude que M. Gladstone, dont le nom pouvait être ajouté dès lors à cette glorieuse liste, devait bien aux petits bourgs. Cependant ces argumens spécieux, avidement accueillis et cent fois répétés, même en France, par ceux à qui une certaine corruption ne déplaît pas, et qui se font volontiers un jeu de la sincérité des élections et du système représentatif, étaient-ils dignes d’un esprit comme le sien ? Ces génies dédaigneux que la lutte publique humilie, que le contact des foules, dont ils prétendent représenter les intérêts, blesse ou révolte, sont-ils indispensables dans les assemblées politiques ? On a pu voir en 1866 que les vues de M. Gladstone à ce sujet se sont gravement modifiées. Les faits cités par lui subsistent néanmoins. On ne peut nier que cette précoce initiation à la vie politique n’ait certains avantages, qu’elle ne soit propre à faire des hommes de gouvernement, à maintenir l’organisation et la vigueur des partis en les rajeunissant. J’ajoute que dans un système qui attribuait à peu près exclusivement l’exercice du pouvoir à une classe très restreinte et ne permettait pas de compter sur l’épanouissement libre et la recrue spontanée des talens, ce patronage était un contre-poids nécessaire ; mais en revanche, réservée aux jeunes gens qui ne craignent pas de donner des gages, flattant l’impatience de leurs ambitions, devançant l’expérience et les services, engageant presque à leur insu des hommes qui n’ont pas eu le temps de se connaître et de fixer leurs idées, cette faveur anticipée des partis n’est pas, il faut en convenir, très favorable à la fermeté des convictions et à la consistance de la conduite. Elle fait des intrigans bornés lorsqu’elle tombe sur des hommes résolus à soutenir avec une obstination aveugle le credo du parti ; elle impose aux âmes droites et aux esprits bien trempés un joug qu’ils ne supportent pas longtemps. De là des transformations qui font quelquefois scandale, et qui portent toujours atteinte à la moralité politique. Ces transformations, que les partis appellent des apostasies, sont souvent un affranchissement légitime ; on sait que la nécessité n’en a été épargnée ni à George Canning, ni à Robert Peel, ni à M. Gladstone.

Le vent propice qui l’avait porté à la chambre des communes ne l’abandonne pas lorsqu’il y est entré. Il ne montre aucune impatience de briller : la réserve était à la fois une preuve de tact et une preuve d’habileté chez un jeune homme dont on attendait beaucoup, sur lequel sa réputation d’université et les grâces mêmes de sa personne attiraient les regards. Il avait eu la première année