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dans une autre guerre, à sept années de là, éprouver de la main d’un autre adversaire, la Prusse, de nouveaux revers auxquels ne fut pas étrangère une autre innovation, celle du fusil à aiguille.

La France, notre patrie, exempte d’échecs du fait du fusil à aiguille, n’en a pas moins reçu de ce côté une leçon : le ministère de la guerre eut cette étrange distraction de laisser faire à la Prusse. la rénovation formidable de son fusil sans s’en apercevoir aucunement, et pourtant on a de nos jours dans chaque ambassade un ou plusieurs attachés militaires dont la mission est d’observer les changemens qui s’introduisent dans le matériel de la guerre et l’organisation des armées. Ou la transformation du fusil prussien ne fut pas aperçue par nos envoyés et attachés, ou s’ils en donnèrent l’avis, — et je ne prétends point qu’ils ne l’aient pas donné, — il n’en fut pas tenu compte. La routine, qui exerce en France une influence trop souvent souveraine, mit son veto et fut obéie. J’ai eu sous les yeux la preuve que le fusil à aiguille avait été proposé directement par l’inventeur au ministère de la guerre, et qu’il lui avait fait une réponse dédaigneuse bien avant les événemens de 1866. Cette bévue a été réparée depuis, en ce sens que le maréchal Niel a pourvu abondamment l’armée française d’un fusil à aiguille que les connaisseurs disent excellent, et à cet égard, de même que pour bien d’autres objets, la vigilance du successeur du maréchal Niel, le général, aujourd’hui maréchal Le Bœuf, n’a pas été moins alerte. Une pareille mésaventure est un de ces avertissemens qu’une administration intelligente et patriotique doit avoir gravés dans la mémoire.

Les partisans de la routine ont imaginé une formule banale de flatterie avec laquelle ils endorment la prévoyance nationale et paralysent l’esprit de progrès. C’est celle qui consiste à prononcer, à propos de toute sorte de choses qui ont été excellentes à l’origine, il y a cinquante ou soixante ans, mais ont cessé de l’être parce qu’on les a immobilisées, ces paroles sacramentelles, que l’Europe nous les envie. L’Europe n’a lieu de rien nous envier dans le sens propre du mot, car, lorsqu’il existe chez nous une bonne institution, les autres états, dès qu’elle est livrée à la publicité, l’étudient et se l’approprient. Elle est dès lors à eux tout autant qu’à nous. L’amour-propre national bien compris doit consister pour nous, non pas à nous envelopper dans notre gloire comme dans un manteau éblouissant et à nous offrir au monde comme des modèles inimitables, mais bien à rechercher sans cesse chez nos voisins ce qu’ils ont de mieux, afin d’en faire de même notre profit.

Les sciences chimiques, physiques, mécaniques, sont cultivées de notre temps dans un esprit d’application. L’on cherche à en tirer la substance directement utile au bien-être des individus ou à la