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persuadé que le prince Kong n’est pas un homme ordinaire. A-t-il le génie qu’il faudrait pour régénérer l’empire, et faire entrer définitivement le peuple chinois dans la voie du progrès en secouant son immobilité ? c’est douteux. La vie d’un homme ne peut suffire à une pareille révolution, et d’ailleurs la civilisation telle qu’on la comprend en Europe, avec son cortège de douceur dans les mœurs et d’honnêteté dans les relations, d’honneur, de justice dans les sentimens et d’améliorations constantes, est, suivant nous, tellement liée à la pratique des principes du christianisme, qu’il n’y a rien à attendre des nations païennes, si ce n’est l’immobilité, la corruption et la chute.


III

Il serait puéril de nous dissimuler l’infériorité, pour ne pas dire la nullité, de notre position commerciale en Chine. Il faut qu’on le sache, le rôle de notre marine marchande est absolument misérable, et nous ne sommes représentés sur les mers orientales d’une manière convenable que par notre marine de guerre. Quant à l’Angleterre, ses intérêts dans l’empire chinois sont immenses, et deviennent plus grands de jour en jour. Il n’a pas été facile d’ouvrir au commerce anglais ce marché de tant de millions de consommateurs. La persuasion et la menace, la diplomatie et la force, tous les moyens ont été mis en œuvre. Il s’agissait, non pas seulement de vaincre la résistance du gouvernement, mais encore de surmonter l’indifférence du peuple. Il était facile de lui porter des marchandises ; mais il n’était pas aisé de lui donner le désir d’en faire usage. L’agriculture et l’industrie chinoises suffisent amplement aux besoins des habitans du Céleste-Empire. Après la prise de Canton en 1858, l’empereur Hien-foung, au moment de conclure un traité de paix avec la France et l’Angleterre, s’étonnait de l’obstination des étrangers, notamment des Anglais, à vouloir introduire en Chine des marchandises dont son peuple n’avait nul besoin. « Nos cotonnades valent mieux que les produits anglais, disait-il, nos tissus sont plus forts et coûtent moins cher, pourquoi l’Angleterre veut-elle nous contraindre à recevoir ses étoffes ? » En effet le sol de l’empire donne tout ce qui est nécessaire à la consommation des habitans.

Le riz est le principal élément de leur nourriture ; on le cultive avec un soin minutieux, et l’on obtient aisément chaque année deux récoltes de cette précieuse céréale. Le blé, le mais, l’orge et le sarrasin sont également l’objet de cultures très perfectionnées. Les Chinois élèvent peu de bestiaux, parce que la terre est très divisée chez eux, et qu’on n’y trouve ni grandes fermes, ni grands