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dernières années à la maîtriser au point de lui imposer jusqu’à sa mort une suspension de toute vie politique, cet esprit frivole et ce caractère peu sérieux ne pouvaient guère convenir à un homme dont la légèreté dans l’humeur, dans les opinions et dans le langage est à coup sûr le moindre défaut.

De la mort de lord Palmerston date pour l’Angleterre la politique nouvelle dont M. Gladstone est un des promoteurs. Le nom du nouveau leader de la chambre des communes restera sans nul doute attaché à l’histoire de la réforme électorale et à celle de la révolution en Irlande. On sait par quelles voies indirectes M. Gladstone est arrivé, sous l’impulsion des circonstances, au point où nous le voyons aujourd’hui, et ces voies n’ont rien de mystérieux. Cependant, lorsqu’on compare les deux termes de sa carrière, les idées qu’il professait à son début et l’œuvre qu’il est en train d’achever, il semble qu’il y ait là un abîme difficile à combler. En disant que son nom doit rester attaché à l’histoire de la réforme, je n’oublie pas qu’un autre lui en a dérobé l’honneur ; mais M. Gladstone a le premier abordé la question avec la volonté sérieuse de la résoudre, il a coupé court à de vaines discussions destinées à donner le change à l’opinion, il a mis fin à un jeu scandaleux, il a si bien fait enfin qu’après lui on ne pouvait plus ajourner la solution, et la réforme lui appartient par là plus encore qu’à M. Disraeli. Depuis le jour où M. Locke King mit la réforme sur le tapis en 1851, presque toutes les administrations de l’un et de l’autre parti avaient eu soin d’en parler. C’était un intermède obligé, un thème excitant pour une certaine partie du public, qu’on reprenait par intervalle avec la résolution sous-entendue entre le ministère et les chambres de n’aboutir à rien. « La comédie se renouvelait souvent et ne variait guère : la couronne recommandait les vœux manifestés en faveur d’une réforme à l’attention de la chambre, le ministère ou quelque membre à son instigation élaborait un projet tel quel, on le discutait gravement, n’ayant aucun doute sur le résultat, et on l’enterrait avec les honneurs dus à l’importance du sujet. A propos du bill présenté par le cabinet de lord Derby, M. Gladstone faisait en 1859, au grand amusement de la chambre, l’histoire funèbre des bills qui avaient avorté sous les précédens ministères. « En 1851, mon noble ami (lord Russell), alors ministre de la couronne, aborda la question de la réforme, et commença par une promesse qu’il devait réaliser douze mois après. En 1852, il présenta un bill qui disparut avec son ministère. En 1853, nous avions le ministère Aberdeen, qui promit une réforme dans le délai d’un an. L’année 1854 arriva, et le bill avec elle ; mais avec elle aussi vint la guerre, et la guerre fournit une raison, fort bonne à mon avis, de renoncer au bill. Puis vint le gouvernement de lord Palmerston, qui eut aussi le malheur