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pas quel est à ses yeux, en l’état des faits, le meilleur instrument de combat que nous ayons en mains. Il se prononce pour les bâtimens destinés à combattre de pointe. Or quelles combinaisons stratégiques ce mode d’action comporte-t-il ? « La ligne de file, dit le traité de tactique de 1861, est la ligne de bataille des bâtimens dont l’artillerie est rangée de chaque bord, la ligne de front celle des bâtimens destinés à combattre de pointe. » Sur ce texte, dans quelle catégorie classer nos vaisseaux et nos frégates cuirassées ? Aux yeux du vice-amiral Jurien, dans la catégorie des bâtimens destinés à combattre de pointe. Là-dessus, le monde militaire a reçu une double leçon des eaux de Lissa et des bords de la Chesapeake. Sans doute il y a lieu de réserver une part à l’imprévu ; mais dans la situation où se trouvent le navire et le canon il n’est pas un amiral qui osât aujourd’hui prêter le flanc à l’ennemi avec l’espoir de l’arrêter ou de le détourner de sa route. Efficace encore dans un tir normal à petite distance, l’artillerie, pour peu que cette distance s’accroisse, est sans action contre des surfaces fuyantes. Évidemment, entre deux flottes cuirassées, il n’y aurait pour le moment d’autre tactique possible que de tourner leurs proues vers le côté d’où peut venir l’attaque. Chaque vaisseau se choisirait un adversaire et chercherait à le couler dans un premier abordage. On se canonnerait à bout portant, on ferait voler en éclats les cuirasses et les membrures, on se quitterait, on se reprendrait en changeant brusquement de route cap pour cap. Autant de couples, autant de combats singuliers ; il y aurait des chasseurs et des chassés, une alternative de chances, jusqu’à ce que le champ de bataille restât aux plus audacieux et aux moins endommagés. Il va sans dire que dans des mêlées pareilles la tactique ne serait ni d’un grand secours ni d’une flagrante opportunité. Une fois les rangs rompus, le livre des signaux pourrait être impunément fermé ; la responsabilité des capitaines commencerait, et leur mot d’ordre serait la vieille devise de nos pères : « honneur au mieux faisant. »


II

Disons maintenant quelques mots sur les installations de nos six bâtimens cuirassés, et d’abord sur les mâtures et l’emploi des voiles. Notre escadre ne s’en est point privée ; elle a mis volontiers, comme on dit, de la toile au vent, et s’en est aidée pour faire en quelques mois 3,800 milles autour de cette grande cuvette d’eau salée qui a les Baléares pour point central. A cela, il y avait deux avantages, une économie de charbon qui soulageait d’autant le budget de la marine, puis une satisfaction donnée aux officiers et aux équipages, pour qui la voile est une véritable passion. En effet, les cœurs