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de la société, elle a sauvé une créature humaine abandonnée par sa propre famille. Beaucoup se font soldats ; ainsi, sur 499 qui au dernier tirage étaient en âge d’être appelés, on a reconnu que 162 s’étaient engagés volontairement. Quelques-uns ont réussi dans la carrière qu’ils ont librement choisie à leur majorité, et il y a dans Paris même des gens riches, honorables et honorés, qui ont poussé leurs premiers cris dans les tristes berceaux de l’ancienne maison des oratoriens. Ceux-là ont profité de toutes les circonstances favorables pour s’accroître, pour se fortifier, et ils ont gardé au fond de leur cœur quelque pitié à l’égard de ceux qui souffrent : les bureaux de bienfaisance s’en aperçoivent lorsqu’ils font leur quête annuelle.

Emmené à la campagne, élevé chez des agriculteurs ou chez des artisans, l’enfant est-il donc absolument perdu pour sa famille ? Non, car celle-ci a toujours le droit de le réclamer et de le reprendre. Quand l’abandon a eu pour cause une misère accidentelle et sérieuse, j’entends celle qui menace la vie, et non point cette misère d’apparat dont les indigens de Paris savent parfois tirer de bonnes aubaines, l’enfant est presque toujours redemandé à l’administration, qui, à moins de raisons fort graves, ne le refuse jamais. Pendant l’année 1869, 585 pupilles de l’assistance publique ont été réclamés. Le sentiment maternel est celui qui persiste le plus : 343 enfans ont été rendus à leurs mères, 166 à leurs pères, et 76 seulement à des collatéraux. Parmi ces pauvres abandonnés, il y en avait 513 qui étaient âgés de un jour à douze ans, et 72 qui étaient des élèves de douze à vingt et un ans. Sur ce nombre, il n’y avait que 219 enfans légitimes ; mais 341 enfans naturels furent reconnus avant d’être remis à leurs parens, et 25 seulement restèrent des enfans anonymes. Ce chiffre de 585 est bien faible en comparaison de la population totale des enfans assistés, qui, on se le rappelle, a été en 1860 de 25,486. On croit généralement que bien des personnes riches à qui la nature a refusé les joies de la maternité vont à l’hospice de la rue d’Enfer chercher un enfant adoptif ; le fait n’est pas sans exemple, mais il est rare ; c’est là un élément romanesque plus fréquent dans les livres d’imagination que dans la vie réelle.

Lorsqu’une adoption a lieu, elle est l’objet d’un contrat authentique passé entre le bienfaiteur et le directeur de l’assistance publique, qui agit comme tuteur légal de l’enfant, et qui a toujours soin de stipuler pour celui-ci un avantage pécuniaire. Autrefois on donnait indifféremment des bilans orphelins ou des enfant ayant entière leurs père et mère. L’on avait compté sans les mauvais instincts naturels à l’homme, et l’on a renoncé à ce système. En effet, un