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Les circonstances actuelles ajoutent malheureusement à l’intérêt qu’eût présenté cette étude en temps ordinaire. Il n’est pas facile, on va le voir, à une nation d’observer une stricte neutralité en temps de guerre, tant sont nombreux les points de contact qu’ont entre eux les peuples civilisés.


I

Au point de vue international, la guerre de sécession n’était pas semblable aux autres guerres. Les gouvernemens européens vivaient en paix avec les États-Unis, aussi bien avec ceux qui prétendaient se séparer de l’Union qu’avec ceux qui voulaient en maintenir l’intégrité. La question en suspens ne touchait en rien l’Europe, si ce n’est par son côté humanitaire. Nous détestions l’esclavage, mais nous n’avions aucun intérêt politique à ce que les esclaves de l’Amérique du Nord fussent affranchis. D’autre part, l’acte de sécession ne s’accomplissait pas avec le cortège révolutionnaire dont tout gouvernement est prompt à s’alarmer. Une province insurgée contre son souverain légitime usurpe des droits ; il n’en est pas de même d’un état qui manifeste l’intention de se soustraire au lien fédéral. Dans ce dernier cas, il s’agit d’une revendication que l’on peut trouver inopportune, mais que l’on ne saurait qualifier d’illégitime. Cette appréciation avait des défenseurs même à Washington au début de la sécession. Le prédécesseur de Lincoln, M. Buchanan, et ses ministres passaient à tort ou à raison pour partager cette manière de voir.

Ce n’est pas tout. Une insurrection qui parvient à s’organiser assume en fait l’autorité souveraine sur le territoire dont elle s’est rendue maîtresse. Les chefs en deviennent responsables envers les autres nations des événemens dans lesquels peuvent être impliqués des étrangers que le commerce, la navigation ou toute autre cause naturelle y amène. De là est venue la nécessité de distinguer entre la souveraineté de fait et la souveraineté de droit. Les gouvernemens étrangers ne peuvent se refuser à reconnaître la première dès que les rebelles sont incontestablement maîtres d’un territoire de quelque étendue ; quant à la seconde, l’histoire nous apprend qu’elle a été souvent niée plus longtemps que de raison. Chaque gouvernement est maître de se comporter à ce sujet suivant ses intérêts ou les principes de sa politique.

Les gouvernemens étrangers qui veulent rester neutres ne peuvent éviter de reconnaître la souveraineté de fait des insurgés ; en d’autres termes, ils leur accordent la qualité de belligérans. C’est