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L’officier qui eut mission de diriger cette opération connaissait à merveille l’hydrographie des abords de Charleston. Par un de ces tristes retours qui ne sont pas rares en temps de guerre civile, il avait été chargé auparavant d’études relatives à l’amélioration de ce port. On présumait que les courans et le flot de marée aidant, les pontons immergés sur les deux pentes de la barre seraient bientôt enveloppés de sable, et qu’ils formeraient alors un barrage inébranlable. En fait, ce fut, paraît-il, un travail inutile ; la navigation en fut un peu gênée, mais non tout à fait entravée. Cependant cette opération barbare, qui menaçait de rendre à jamais impraticable le port le plus important de la confédération, fut accueillie par les protestations de l’Angleterre. Les armateurs de Liverpool adressèrent des réclamations à lord Russell, qui de son côté chargea lord Lyons de les faire valoir auprès du cabinet de Washington. En Amérique même ; le public n’était pas éloigné d’admettre que cet odieux procédé fût contraire aux lois de la guerre entre nations civilisées. M. Seward répondit que c’était une mesure d’un caractère essentiellement temporaire, sans autre objet que de suppléer à l’insuffisance actuelle de la marine fédérale, et que le gouvernement des États-Unis tiendrait pour un devoir étroit de rétablir lui-même les entrées de Charleston en leur état primitif dès que cette ville serait rendue à l’Union. Les armateurs anglais ne s’en inquiétèrent pas davantage ; ils eurent bientôt, on va le voir, d’autres sujets de préoccupation.

Personne n’ignore quelle place le coton américain tenait avant 1861 dans le commerce de Liverpool et dans les manufactures européennes. La culture de cette plante textile faisait la prospérité des états du sud ; mais cette prospérité ne datait pas de loin. Pendant les années qui précédèrent l’insurrection, la récolte montait en moyenne à 2 millions 1/2 de balles, et plus les planteurs américains coproduisaient, plus les filateurs du Lancashire en demandaient, si bien que le prix s’en était élevé de 80 à 90 centimes en 1850 jusqu’à 1 franc 10 centimes et 1 franc 20 centimes la livre en 1860[1]. Cette masse énorme de matière première provenait des états du sud, des états à esclaves, qui recevaient en échange les produits de l’industrie européenne. Pendant les premiers mois de la guerre, le commerce se ressentit peu des effets du blocus. Le coton se sème au printemps, se récolte en septembre, et n’arrive pas sur les marchés du littoral avant la fin de décembre. L’exportation a lieu en

  1. Les statistiques américaines révélaient un résultat assez curieux. Pour chaque augmentation de 10 centimes sur la valeur de la livre de coton. (454 grammes), la valeur moyenne d’un esclave augmentait de 500 francs.