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étaient partis en un mois à destination de Nassau avec l’intention certaine d’y transborder leurs cargaisons sur les bâtimens légers que la marine fédérale était dans l’impuissance d’atteindre. Lord Russell ne voulait pas admettre les réclamations de M. Mason, parce que la présence continuelle des escadres fédérales sur le littoral américain constituait, suivant la loi des nations, un blocus efficace, et par compensation il se refusait avec autant de raison à reconnaître que les plaintes du cabinet de Washington fussent légitimes, car, disait-il, il n’appartient pas à un gouvernement neutre de contribuer par des procédés arbitraires à rendre plus efficaces les mesures que l’un des belligérans croit convenable d’adopter. Il ne paraît pas douteux que lord Russell fût dans le vrai en observant cette ligne de conduite ; le blocus était en réalité assez bien gardé pour que les navires qui le violaient s’exposassent à un grand péril, et d’un autre côté le profit que le commerce retirait de ces entreprises illicites était si considérable, que les armateurs avaient intérêt à braver ce danger.

Or la question se compliqua encore parce que les négocians de New-York s’avisèrent, eux aussi, de prendre part à des spéculations si avantageuses. Les douanes fédérales constatèrent que plusieurs bâtimens en charge dans les ports des états du nord se dirigeaient vers Nassau. Par un acte du congrès en date du 26 mai 1862, le secrétaire d’état reçut l’autorisation d’arrêter à la sortie les marchandises qui pouvaient être livrées aux rebelles, quelle que fût leur destination première. Les négocians de Nassau se plaignirent à leur tour de ce qu’on mettait obstacle à leur commerce. Ils prétendirent avoir toujours eu l’habitude de faire venir les marchandises anglaises dont ils avaient besoin par la voie de New-York. Ils étaient eux-mêmes sujets anglais, neutres par conséquent. Les belligérans n’avaient aucun droit d’entraver leur commerce. Ce fut l’une des nombreuses questions soulevées et en fin de compte non résolues pendant cette longue lutte de l’Union contre les sécessionistes. Pour supprimer ces litiges de droit international sans cesse renaissans, le gouvernement fédéral eut recours au meilleur moyen : ce fut de renforcer sa marine à tel point que le blocus devint plus réellement efficace. Les événemens de la guerre firent d’ailleurs tomber entre ses mains les ports les plus importans du sud. Les contrebandiers de Nassau cessèrent d’y trouver leur compte ; ils reportèrent d’abord sur la ligne des Bermudes, à Wilmington, le trafic qui était devenu trop dangereux entre Nassau et Charleston ; mais en définitive il fallut y renoncer : les croiseurs du nord devenaient si nombreux, si vigilans, que le commerce interlope avait plus de mauvaises chances que de bonnes.