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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/129

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A côté du produit de la prestation se place celui des centimes additionnels aux contributions directes, que les départemens et les communes sont autorisés à s’imposer pour la vicinalité[1]. La loi a ainsi posé en principe que tout individu assujetti à l’impôt direct est intéressé à la confection des chemins, principe conforme à la réalité des faits, puisque les facilités données à la circulation se traduisent par une plus-value de la main-d’œuvre, des produits du sol et des objets fabriqués.

En créant à côté des ressources en argent des ressources en travail, on a donc réalisé une combinaison ingénieuse qui a eu les résultats les plus féconds. Pour construire les chemins, pour les entretenir, il faut de l’argent et il faut des bras : de l’argent pour acquérir les terrains, pour se procurer les matériaux d’empierrement et construire les ouvrages d’art ; des bras pour niveler le sol, élever les remblais, transporter et aménager les matériaux. Un équilibre aussi parfait que possible entre les deux espèces de ressources est une condition essentielle pour l’exécution rapide et économique des travaux : c’est cet avantage qu’on a obtenu en combinant avec la prestation, qui donne la main-d’œuvre, l’impôt, qui donne le numéraire.

On a dit que la prestation n’était autre chose que l’ancienne corvée déguisée sous un nom nouveau. Il y a sans doute assez d’analogie entre l’une et l’autre pour qu’on puisse les comparer, mais comme on compare l’abus d’une institution à cette institution elle-même. Si l’on veut d’autre part se rendre compte des profondes différences qui les distinguent, on n’a qu’à relire le tableau que M. de Tocqueville a tracé des souffrances des corvéables dans son livre si curieux et si profond sur l’Ancien régime et la révolution. Tandis qu’on réserve aujourd’hui la prestation pour les chemins, et pour ceux-là seulement qui ont été classés comme présentant une utilité directe pour le prestataire, on réservait autrefois la corvée pour les routes que l’état et le département ont prises depuis à leur charge. Bien plus, on détournait la corvée de sa destination propre pour construire des casernes, pour voiturer les effets militaires, pour transporter les forçats dans les bagnes et les mendians dans les dépôts de charité. Turgot, dans le préambule de l’édit qui supprima momentanément la corvée (février 1776), Necker, dans son compte-rendu au roi Louis XVI (janvier 1778), Calonne, dans son mémoire à l’assemblée des notables (février 1787), constatent qu’on

  1. Le produit de la prestation est évalué, pour l’exercice 1869, à 58 millions, dont 37 millions acquittés en nature et 21 millions convertis en argent ; celui des centimes additionnels s’est élevé à 37 millions.