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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/146

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Après l’étendue et la situation du territoire, le principal élément de puissance pour un peuple, c’est la population. À ce point de vue, la France et l’Allemagne sont presque égales. D’après le dernier recensement, nous avons 38,067,000 habitans. La confédération de l’Allemagne du nord n’en a que 29,906,000 ; mais si l’on y ajoute la Bavière, le Wurtemberg, Bade et la Hesse méridionale, l’on arrive à une population totale de 38,500,000 Allemands confédérés. Il serait difficile de trouver deux nations aussi égales par la population, comme par la superficie du sol. Seulement il faut analyser ces chiffres et répondre à différentes questions qui se présentent. Un politique habile ne doit pas être rivé au temps présent ; c’est une obligation de jeter les yeux sur l’avenir et de prévoir les situations futures. Or le rapport de la population de l’Allemagne et de la population de la France s’est déjà altéré, et tous les jours il s’altère davantage. C’est que les familles sont beaucoup plus nombreuses de l’autre côté du Rhin ; malgré l’émigration, qui draine une grande partie de cet excédant annuel des naissances, le nombre des habitans s’accroît chaque année dans une proportion notable. Quelques esprits se sont alarmés de cette progression rapide de la population allemande, d’autres n’en tiennent absolument aucun compte. Il convient d’envisager ce phénomène avec sang-froid et d’en bien mesurer l’importance. En 1836, la France comptait 33,540,000 habitans. Trente ans après, si l’on néglige Nice et la Savoie, elle avait une population de 37,340,000 ; c’était une augmentation de 3,800,000 âmes ; le taux de l’accroissement annuel se trouvait être de 0,44 pour 100. La Prusse, dans une même période de trente ans, avait passé de 13,589,000 à 19,252,000 ; l’augmentation était ainsi de 5,650,000 âmes, et le taux de l’accroissement annuel était de 1,62 pour 100. Ainsi la progression était en Prusse trois fois et demie plus rapide qu’en France. En raisonnant d’après ces bases, il faudrait cent soixante ans pour que le nombre des Français doublât, et seulement quarante-deux ans pour le doublement du nombre des Prussiens. On voit quelles conséquences terribles pour l’avenir de notre pays on pourrait tirer de ces calculs positifs ; mais il ne faut pas s’exagérer le péril. En descendant plus au fond des choses, la situation apparaît meilleure. Les divers pays allemands qui sont soumis depuis peu de temps à la Prusse, ou qui se trouvent actuellement ses alliés, sont loin de suivre une marche ascendante aussi accélérée. Dans le royaume de Bavière et le grand-duché de Bade, la population est presque aussi stationnaire qu’en France ; dans la récente période de trente ans, le taux d’accroissement annuel ne s’est trouvé être pour ces deux états que de 0,51 et 0,53 pour 100. Le Wurtemberg présente encore des résultats plus rassurans ; la population y progresse plus lentement qu’en