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la mettre à profit. Il parut cependant à cette époque bon nombre de brochures et d’ouvrages estimables sur le sujet. Après 1830, lorsque la sainte alliance parut se reformer contre nous en haine de la révolution de juillet, il sembla que l’on allait résoudre la question, et de fait on reprit en 1831 une partie des travaux que Napoléon avait projetés plutôt que commencés ; mais quand après le siège. d’Anvers la paix parut être assurée, on s’arrêta encore. Le roi Louis-Philippe, qui dans sa jeunesse avait courageusement payé de sa personne sur les champs de bataille de Valmy et de Jemmapes, détestait la guerre et aimait la paix avec passion, avec la passion d’un philanthrope qui respecte le sang humain et a l’horreur des malheurs d’autrui ; mais c’était aussi un homme prudent et qui savait tenir compte des enseignemens de l’histoire.

Il voulait fortifier Paris. D’accord sur ce point avec les plus grandes autorités militaires, il pensait que le véritable système de défense de la capitale devait se composer d’un certain nombre de forts jetés en avant et autour de Paris, sauf à voir plus tard ce que l’on pourrait faire pour entourer la ville elle-même d’un rempart continu. Il craignait de nuire ainsi au développement économique, industriel et commercial de la capitale, et par-dessus tout il redoutait de faire échouer l’entreprise en se mettant dans l’obligation de demander en une seule fois trop d’argent aux contribuables, car cela devait coûter fort cher. L’opposition, elle, ne pensait pas comme le roi, comme ses conseillers, comme les hommes de guerre qui avaient depuis des années discuté et approfondi le projet. Elle ne contestait pas qu’il fût utile de fortifier Paris ; mais elle prétendait qu’une enceinte continue valait mieux que tous les forts, elle affectait de voir dans ces ouvrages, qu’elle qualifiait de bastilles, la preuve d’intentions dirigées contre l’indépendance et la sécurité de la population parisienne : elle était parvenue à jeter la défiance dans beaucoup d’esprits peu éclairés, mais ardens. On se tenait ainsi en échec, et peut-être la question serait-elle restée pendant des années encore en suspens, si la menace d’une nouvelle coalition ne fût venue en 1840 décider la solution du problème. En ce moment critique, un prince justement regretté, le duc d’Orléans, sentit que le jour était arrivé de couper court à toutes les hésitations, en prenant un grand parti qui devait satisfaire tout le monde, c’est-à-dire en faisant à la fois les forts détachés et l’enceinte continue, double dot, comme disait plus tard l’illustre maréchal Soult devant la chambre des députés, où il défendit le projet de loi qui allouait 150 millions pour ce grand travail, Encouragé par le roi, qui lui répondait : « On criera beaucoup à bas Louis-Philippe ; mais cela passera, et la France aura les fortifications de Paris, qui ne passeront pas, » assuré du concours de M. Thiers, alors chef du cabinet, le prince royal, assisté de son aide-de-camp, M. le baron de Chabaud-Latour, chef de bataillon du génie et député du Gard, se mit à l’œuvre, et huit jours après,