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légitimité, acceptant d’être menées, bâtonnées, servant bien quand elles sont bien commandées, ayant à leur tête une petite noblesse de village forte de toute la force que donnent les préjugés et l’esprit étroit. La vraie résistance continentale à la révolution et à l’empire vint de cette Vendée du nord ; c’est là que le gentilhomme campagnard, chez nous couvert de ridicule par la haute noblesse, la cour, la bourgeoisie, le peuple même, prit sa revanche sur la démocratie française, et prépara sourdement, sans bruit, sans plébiscites, sans journaux, l’étonnante apparition qui depuis quelques années vient de se dérouler devant nous.

La nécessité qui sous la restauration obligea la France à renoncer à toute ambition extérieure, la sage politique qui sous Louis-Philippe rassura l’Europe, éloignèrent quelque temps le danger que recelait pour la France sortie de la révolution cette anti-France de la Baltique, qui est la négation totale de nos principes les plus arrêtés. La France de ce temps songea peu à l’Allemagne. L’activité était tournée vers l’intérieur, et non vers les agrandissemens du dehors. On avait mille fois raison. La France est assez grande ; sa mission ne consiste pas à s’adjoindre des pays étrangers, elle consiste à offrir chez elle un de ces brillans développemens dont elle est si capable, à montrer la réalisation prospère du système démocratique qu’elle a proclamé, et dont la possibilité n’a pas été jusqu’ici bien prouvée. Qu’un pays de 17 ou 18 millions d’habitans, comme était autrefois la Prusse, joue le tout pour le tout, et sorte, même au prix des plus grands hasards, d’une situation qui le laissait flotter entre les grands et les petits états, cela est naturel ; mais un pays de 30 ou 40 millions d’habitans a tout ce qu’il faut pour être une grande nation. Que les frontières de la France aient été assez mal faites en 1815, cela est possible ; mais, si l’on excepte quelques mauvais contours du côté de la Sarre et du Palatinat, qui furent tracés, à ce qu’il semble, sous le coup de chétives préoccupations militaires, le reste me paraît bien. Les pays flamands sont plus germaniques que français ; les pays wallons ont été empêchés de s’agglutiner au conglomérat français par des aventures historiques qui n’ont rien de fortuit ; cela tint au profond esprit municipal qui rendit la royauté française insupportable à ces pays. Il en faut dire autant de Genève et de la Suisse romande ; on peut ajouter que grande est l’utilité de ces petits pays français, séparés politiquement de la France ; ils servent d’asile aux émigrés de nos dissensions intestines, et en temps de despotisme ils servent de refuge à une pensée libre. La Prusse rhénane et le Palatinat sont des pays autrefois celtiques, mais profondément germanisés depuis deux mille ans. Si l’on excepte quelques vallées séparées de la France