supporterait pas un moment la pensée que le but de ce qui se fait par la Prusse n’est pas de prussianiser toute l’Allemagne, plus tard le monde entier, au nom d’une sorte de mysticisme politique dont on semble vouloir se réserver le secret.
Les plans de M. de Bismarck furent élaborés dans la confidence et avec la pleine adhésion de l’empereur Napoléon III et du petit nombre de personnes qui partageaient le secret de ses desseins. Il est injuste de faire de cela un reproche à l’empereur Napoléon. C’est la France qui a élevé dans le monde le drapeau des nationalités ; toute nationalité qui naît et grandit devrait naître et grandir avec les encouragemens de la France, et devenir pour elle une amie. La nationalité allemande étant une nécessité historique, la sagesse voulait qu’on ne se mît pas à la traverse. La bonne politique n’est pas de s’opposer à ce qui est inévitable ; la bonne politique est d’y servir et de s’en servir. Une grande Allemagne libérale, formée en pleine amitié avec la France, devenait une pièce capitale en Europe, et créait avec la France et l’Angleterre une invincible trinité, entraînant le monde, surtout la Russie, dans les voies du progrès par la raison. Il était donc souverainement désirable que l’unité allemande, venant à se réaliser, ne se fit pas malgré la France, bien au contraire se fît avec son assentiment. La France n’était pas obligée d’y contribuer, mais elle était obligée de ne pas s’y opposer ; il était même naturel de songer au bon vouloir de la jeune nation future, de se ménager de sa part quelque chose de ce sentiment profond que les États-Unis d’Amérique garderont encore longtemps à la France en souvenir de Lafayette. Était-il opportun de tirer profit des circonstances pour notre agrandissement territorial ? Non en principe, puisque de tels agrandissemens sont à peu près inutiles. En quoi la France est-elle plus grande depuis l’adjonction de Nice et de la Savoie ? Cependant l’opinion publique superficielle attachant beaucoup de prix à ces agrandissemens, on pouvait, à l’époque des tractations amicales, stipuler quelques cessions, pourvu qu’il fût bien entendu que ces agrandissemens n’étaient pas le but de la négociation, que l’unique but de celle-ci était l’amitié de la France et de l’Allemagne. Pour répondre aux taquineries des hommes d’état de l’opposition et satisfaire à certaines exigences des militaires qui ont sans doute leur fondement, on pouvait, par exemple, stipuler avant la guerre la cession du Luxembourg et la rectification de la Sarre, auxquelles la Prusse eût probablement consenti alors. Je le répète, j’estime qu’il eût mieux valu ne rien demander : le Luxembourg ne nous eût pas apporté plus de force que la Savoie ou Nice. Quant aux contours stratégiques des frontières, combien une bonne politique eût été un meilleur rempart ! L’effet d’une bonne politique eût été que