même la France atteinte dans ses parties principales verrait sa vie générale s’éteindre et ses organes du centre insuffisans pour renvoyer la vie jusqu’aux extrémités.
Qu’on ne rêve donc pas de concilier deux choses contradictoires, conserver la France et l’amoindrir. Il y a des ennemis absolus de la France qui croient que le but suprême de la politique contemporaine doit être d’étouffer une puissance qui, selon eux, représente le mal. Que ces fanatiques conseillent d’en finir avec l’ennemi qu’ils ont momentanément vaincu, rien de plus simple ; mais que ceux qui croient que le monde serait mutilé si la France disparaissait y prennent garde. Une France diminuée perdrait successivement toutes ses parties ; l’ensemble se disloquerait, le midi se séparerait ; l’œuvre séculaire des rois de France serait anéantie, et, je vous le jure, le jour où cela arriverait, personne n’aurait lieu de s’en réjouir. Plus tard, quand on voudrait former la grande coalition que provoque toute ambition démesurée, on regretterait en Europe de ne pas avoir été plus prévoyant. De grandes races sont en présence ; toutes ont fait de grandes choses, toutes ont une grande tâche à remplir en commun ; il ne faut pas que l’une d’elles soit mise en un état qui équivaille à sa destruction. Le monde sans la France serait aussi mutilé que le monde sans l’Allemagne ; ces grands organes de l’humanité ont chacun leur office : il importe de les maintenir pour l’accomplissement de leur mission diverse. Sans attribuer à l’esprit français le premier rôle dans l’histoire de l’esprit humain, on doit reconnaître qu’il y joue un rôle essentiel : le concert serait troublé, si cette note y manquait. Or, si vous voulez que l’oiseau chante, ne touchez pas à son bocage. La France humiliée, vous n’aurez plus d’esprit français.
Une intervention de l’Europe assurant à l’Allemagne l’entière liberté de ses mouvemens intérieurs, maintenant les limites fixées en 1814 et défendant à la France d’en rêver d’autres, laissant la France vaincue, mais fière dans son intégrité, la livrant au souvenir de ses fautes et la laissant se dégager en toute liberté et comme elle l’entendrait de l’étrange situation intérieure qu’elle s’est faite, telle est la solution que doivent, selon nous, désirer les amis de l’humanité et de la civilisation. Non-seulement cette solution mettrait fin à l’horrible déchirement qui trouble en ce moment la famille européenne, elle renfermerait de plus le germe d’un pouvoir destiné à exercer sur l’avenir l’action la plus bienfaisante.
Comment en effet un effroyable événement comme celui qui laissera autour de l’année 1870 un souvenir de terreur a-t-il été possible ? Parce que les diverses nations européennes sont trop indépendantes les unes des autres et n’ont personne au-dessus d’elles,