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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/292

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froisse la raison et révolte la conscience ; tout y est rapetissé par un esprit d’étroite dévotion, de crédulité mesquine. En Galilée au contraire, les monumens qui rappellent Jésus sont ces montagnes, ce vaste lac, ces arbres, ces fleurs, qui lui ont prêté tant d’emblèmes charmans et de paraboles pleines de vie. Cette nature qui pour lui était le voile transparent de la présence et de la bonté divines ou plutôt la révélation personnelle et vivante du Père, cette nature immortelle n’a rien perdu de sa puissance ni de sa poésie. Tandis qu’à Jérusalem quelques oliviers et des rochers innombrables sont tout ce qu’on voit, arbres au terne feuillage et pierres que le soleil a lentement brunies, la Galilée, plus fraîche, a des collines arrondies, des herbes hautes et épaisses, des eaux vives, les unes courantes, les autres souvent agitées par de grands coups de vent. Les animaux mêmes, renards, aigles ou petits oiseaux, tout, jusqu’au ciel empourpré du couchant, rappelle les paraboles du Nazaréen. Parce qu’il était un vrai fils de la nature, en communion perpétuelle avec ses beautés et ses forces, il a été reconnu d’autant plus facilement, plus réellement, pour fils de Dieu. Il fut élevé dans une région intermédiaire entre le monde juif, trop fermé, et les croyances mystiques, mais païennes, sensuelles et confuses, dont le Liban est encore aujourd’hui et fut de tout temps le berceau. Une telle contrée se prête mieux qu’aucune autre à des observations peut-être utiles sur la succession de divers cultes dans un même milieu et sur les emprunts réciproques qu’ils se sont faits.


I

De mémoire d’homme, le Liban a toujours été et ne cesse pas d’être pour ses propres habitans ou ceux des contrées qu’il domine une montagne sacrée. Il abonde en sites étrangement pittoresques, où la vive imagination des anciens indigènes, saisie par te spectacle sublime de la nature, avait érigé des sanctuaires. Ces lieux saints ont appartenu tour à tour ou même simultanément à des cultes très divers et souvent ennemis. Quoique le sentiment pieux des montagnards s’y soit formulé en. dogmes différens ou opposés, et y fût célébré par des rites inconciliables ou hostiles, tous s’accordaient à reconnaître dans les beautés grandioses de telle ou telle localité charmante ou terrible un caractère mystérieux et divin.

Les voyageurs venus du nord sont déjà familiarisés avec les gorges étroites, les cimes arrondies de l’Anti-Liban, et avec les centres de superstition qui s’y sont développés et maintenus. C’est cependant, même pour eux, un exemple très remarquable de ce