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S’il faut en croire l’historien Eusèbe (VI, 18), Banias devrait figurer dans les annales du christianisme non-seulement pour l’événement mémorable que nous venons de rappeler, mais pour un monument chrétien qui aurait succédé aux temples de Pan et d’Auguste. Ce n’était point un sanctuaire ; c’est la plus antique représentation publique de Jésus-Christ dont l’histoire fasse mention. Selon Eusèbe, ce serait à Banias que Jésus aurait guéri une femme qui d’abord avait timidement touché le bord de son vêtement (Matth., IX, 20), et le souvenir de ce miracle aurait été célébré par l’érection d’un groupe de deux statues en bronze représentant un homme en long manteau et une femme agenouillée à ses pieds. Ce monument, au dire de Théophane, aurait été détruit par l’empereur Julien en haine du christianisme. Les statues dont il s’agit ont certainement existé, Eusèbe les a vues, et il est fort possible que les chrétiens d’alors en donnassent l’interprétation que l’historien rapporte ; mais il n’est pas rare que le peuple attribue à une effigie dont il a oublié l’origine une signification de pure fantaisie. C’est ainsi que des Romains, voyant aux coins des rues les images de la Vierge allaitant son enfant et couronnée de la tiare papale, ont rêvé l’histoire scandaleuse d’une papesse Jeanne, histoire crédulement adoptée par maints écrivains catholiques, et réduite à néant par la critique érudite et impartiale du pasteur Blondel au xvir3 siècle. Il est assez probable que le bronze de Banias devait représenter une ville conquise ou une province pacifiée aux pieds de son vainqueur ou de son bienfaiteur. Au reste, les humiliations ne manquèrent pas à cette petite ville de Syrie. Hérode Agrippa la dédia à Néron et l’appela Néronias.

Aujourd’hui, de tous les souvenirs des Romains et des Hérodes, il ne reste qu’un monceau de décombres à l’entrée de la grotte de Banias ; mais c’est un des points où il pourrait être intéressant d’opérer des fouilles. Il est possible aussi que cette source où l’on faisait disparaître les victimes, et où sans doute, selon l’usage romain, on jetait des monnaies et d’autres offrandes, recèle bien des objets curieux dans les profondeurs d’où elle jaillit. Quant au vaste château en ruine qui domine Banias de très haut, c’est le mieux conservé de toute la Syrie. Bien des voyageurs l’ont cru antique, l’ont même attribué aux Phéniciens ; M. Porter, auteur estimé de plusieurs ouvrages sur cette contrée, où il a longtemps vécu, déclare le fait incontestable ; mais nous croyons beaucoup plus sage d’attribuer, comme M. Renan[1], ce château aux croisés. On sait qu’en

  1. Mission de Phénicie.