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trouvés, dont Vincent de Paul venait d’instituer l’œuvre, et en 1657 Louis XIV, qui avait déjà formé le projet de bâtir un hôtel spécialement réservé aux invalides (commencé près de vingt ans plus tard, en 1672), réunit la commanderie, qu’on avait placée sous le vocable de saint Jean-Baptiste, au système de l’Hôpital-Général, et la consacra aux pauvres, aux femmes de mauvaise vie, aux fils insoumis, aux vagabonds et aux voleurs. Ce château qui a eu tant de destinations différentes, c’est Bicêtre.

D’où lui vient ce nom ? Sans nul doute de la contraction francisée du mot Winchester ; mais il semble que l’étymologie est double, et qu’on est arrivé, avec deux mots d’acception très différente, à faire un seul et même nom. Toute la plaine qui s’étend entre Montrouge et Gentilly était non-seulement mal famée, mais causait une insurmontable épouvante aux bourgeois parisiens. C’est dans ces parages qu’habitait le fameux diable Vauvert, devenu proverbial. On y arrivait par la rue d’Enfer ; ces vastes terrains nus et très solitaires, couverts de nombreuses excavations destinées à l’extraction de pierres de taille, étaient fréquentés par tous les malfaiteurs, qui échappaient facilement aux inutiles poursuites des soldats du guet. Les voleurs y trouvaient des endroits propices pour le refuge et l’embuscade ; c’est là que, sous la fronde, les sorciers à la mode conduisaient les dupes naïves et hardies auxquelles ils faisaient apparaître le diable. On prétendait que la nuit ces lieux maudits étaient le théâtre de rondes sataniques, et qu’on y entendait constamment un bruit de chaînes accompagné de plaintes déchirantes. Le château et la plaine qu’il dominait étaient frappés d’anathème, et nul ne pouvait en approcher sans s’exposer à un malheur. Or par quel terme vulgaire le peuple de Paris exprimait-il l’idée de malheur, d’accident, de désastre fortuit survenant sans cause explicable ? Par le mot bissêtre, selon la vieille tradition païenne, qui regardait les années bissextiles comme néfastes, et qui par infiltration était venue jusqu’à nous. Le mot subsiste encore dans quelques provinces de France, notamment dans le Berry, où il sert à désigner un homme à la fois colossal et de forme indécise qui apparaît à ceux que la mort menace. Ce mot était autrefois d’un usage très fréquent ; Molière l’a employé dans l’Étourdi :

Eh bien ! ne voilà pas mon enragé de maître ?
Il va nous faire encor quelque nouveau bissêtre ?


Dans un rapport présenté en 1657 au cardinal Mazarin, l’orthographe populaire qui semble entraîner la signification spéciale que je viens d’indiquer est conservée : « Bissestre est une maison