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d’hostilité, mais de plus celui des deux qui est le plus faible a le droit d’être protégé dans une certaine mesure. C’est une règle admise dans le code international que le bâtiment qui donne la chasse ne peut sortir que vingt-quatre heures après le bâtiment poursuivi. A défaut de cette loi restrictive, il serait trop facile aux croiseurs de saisir l’ennemi à la sortie des ports neutres et de compromettre ainsi dans la lutte des puissances qui entendent n’y prendre aucune part.

L’Iroquois, craignant que l’ennemi ne lui échappât à la faveur de cette règle, sortit alors du port et vint se poster à l’affût, à une lieue en mer, prêt à poursuivre le Sumter dès que celui-ci lèverait l’ancre. Le commandant fédéral avait en outre des amis aux aguets dans la ville ; on devait lui faire signe du rivage aussitôt que le corsaire confédéré se mettrait en mouvement. Précautions inutiles : le Sumter profita d’une nuit obscure pour s’échapper sans qu’il y eût moyen de savoir quelle route il avait suivie. Beaucoup plus tard seulement, on apprit qu’il était sur les côtes d’Espagne. Arrivé à Gibraltar, il y fut vendu à un armateur, et ce terrible corsaire, qui avait jeté l’effroi dans la marine américaine, revint peu après à Londres comme un simple bâtiment de commerce. Cet incident du séjour du Sumter à la Martinique mérite d’être cité parce qu’il prouve que les officiers fédéraux comprenaient souvent d’une manière étrange les droits protecteurs des neutres. Stationner sous vapeur en vue d’un port pour guetter l’ennemi, entretenir des intelligences avec le rivage, se soustraire par ces moyens aux règles ordinaires de la guerre, ce sont des procédés insolites contre lesquels les autorités coloniales n’étaient pas en garde, et qui n’auraient pas été tolérés assurément dans un port du continent européen. Vers le même temps, un autre corsaire confédéré, le Nashville, fut bloqué dans le port de Southampton par le Tuscarora, bâtiment de guerre fédéral. Ce dernier fut contraint de rester à l’ancre, et ne reprit la liberté de ses mouvemens que vingt-quatre heures après le départ de son rival.

Si peu nombreux qu’ils fussent, les corsaires confédérés inspirèrent une crainte telle que le taux des assurances maritimes sur navires américains montait de 4 à 5 pour 100 avant la fin de l’année 1861, et que les armateurs de l’Union s’efforçaient déjà, comme c’est l’usage en pareil cas, de couvrir leur propriété par des certificats de vente aux armateurs des pays neutres. Les équipages qui faisaient la course pour le compte du gouvernement des états du sud ne gagnaient pas beaucoup à ce métier, puisque les prises étaient brûlées en pleine mer, faute de pouvoir être ramenées dans leurs ports ou dans les ports des puissances neutres. Cependant il