Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Orégon, en vertu duquel la frontière commune était ainsi fixée : depuis l’extrémité occidentale des grands lacs jusqu’au littoral du Pacifique, le 49e degré de latitude, et ensuite le canal qui sépare l’île de Vancouver du continent. Or il advint que les commissaires désignés de part et d’autre pour reconnaître ces limites sur le terrain s’aperçurent un peu tard qu’il y a entre l’île de Vancouver et le continent non pas un canal unique, mais bien un archipel d’îles nombreuses et plusieurs canaux navigables. Ils en signalaient trois notamment. Le premier, le canal de Rosario, longe la côte américaine ; s’il était accepté comme limite, l’archipel entier appartiendrait à la Grande-Bretagne. Le second, le canal de Haro, baigne l’île de Vancouver ; il donnerait au contraire l’archipel aux États-Unis. Enfin un troisième, le canal de Douglas, passe entre les deux et laisserait dans les limites anglaises l’île de San-Juan, qui est la plus importante de ce groupe. Quoique le territoire en discussion fût bien peu de chose pour de si puissantes nations, le choix de la ligne frontière n’était pas indifférent, car les canaux dont il s’agit ont peu de largeur. Si par exemple le littoral américain s’étendait jusqu’au canal de Haro, l’Angleterre, en cas de rupture avec les États-Unis, ne pourrait faire entrer ses vaisseaux dans le havre d’Esquimalt qu’en passant sous le feu des batteries ennemies ; or ce havre est la station habituelle de l’escadre du Pacifique.

Au fond, c’était seulement une question de frontière qu’une commission internationale de délimitation eût résolue sans embarras, si l’affaire n’eût été tout à coup compliquée par l’intervention maladroite d’un officier de l’Union. Le commandant militaire de l’Orégon était à cette époque, en 1858, le général Harney, qui s’était fait une certaine réputation dans les escarmouches continuelles contre les Indiens. Il était le patron et le protecteur des colons, qui commençaient d’affluer dans cette province lointaine, et il avait mérité leur reconnaissance en exterminant les tribus natives des alentours. Sur l’île San-Juan, territoire contesté, la compagnie de la baie d’Hudson avait créé une petite colonie agricole.. A ses côtés vinrent s’établir quelques citoyens américains. Au mois de juin 1859, il y eut querelle de voisinage pour un animal domestique tué mal à propos. Ce n’était rien ; le général Harney en fit un prétexte d’intervention. Sans prendre la peine de consulter le gouverneur de l’île de Vancouver, qui était près de là, sans même en référer au gouvernement de Washington, il fit occuper l’île San-Juan par un détachement de soldats américains. À cette nouvelle, le gouverneur de Vancouver envoya de son côté un détachement anglais d’égale force sur un autre point de la même île. Ces deux petites armées, d’environ 500 hommes chacune, se fortifièrent et