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que les autres puissances, disposée à prendre un rôle actif. Il reste à savoir sous quelle forme et dans quelle mesure peut se manifester ce retour de bonne volonté. L’Italie n’aurait pas demandé mieux sans doute que de prouver d’une manière efficace qu’elle se souvenait de ce que la France a fait pour elle, et il y a au-delà des Alpes, nous ne l’ignorons pas, bien des esprits généreux qui souffrent comme de leurs propres blessures des épreuves auxquelles notre pays a été soumis ; mais l’Italie a songe à tirer parti des circonstances en allant occuper Rome. Déjà son armée a passé la frontière du petit état pontifical, un plénipotentiaire, M. Ponza di San Martino, a été envoyé à Rome, auprès du pape, pour lui faire des propositions de nature à sauvegarder la souveraineté spirituelle du saint-siège. Que le pape accepte ou qu’il n’accepte pas, la question ne semble pas moins toucher à un dénoûment que les délibérations du concile ont moralement préparé, que la guerre actuelle aura rendu immédiatement possible. Rome capitale ne sera plus un vain mot, et le cabinet de Florence sera certainement peu dérangé dans ses combinaisons. L’Italie peut marcher ; nous ne lui en voulons pas de profiter des circonstances et de faire ses affaires ; cependant l’Italie, moins que toute autre puissance assurément, peut oublier que ses intérêts de sécurité et d’avenir sont liés à ceux de la France.

Au fond, chez toutes les puissances, chez tous les peuples, il y a des préoccupations croissantes, des velléités sympathiques, encore peu d’action. Et maintenant M. Thiers, qui dans les circonstances actuelles n’a pas voulu refuser ses services au gouvernement de la défense nationale et qui vient de partir pour Londres, d’où il doit se rendre à Vienne et à Saint-Pétersbourg, M. Thiers réussira-t-il à donner un caractère plus décidé à toutes ses bonnes intentions jusqu’ici inutiles ? Parviendra-t-il à rassembler tous les fils d’une grande négociation ? Certes de tous les contemporains qui peuvent aujourd’hui servir la France, M. Thiers est celui dont la parole peut exercer le plus d’autorité. Nul plus que lui n’a l’expérience des hommes et des grandes affaires du continent ; nul n’a donné plus de gages au pays, au droit et à la paix. Il parlera de la France comme il en doit parler, il ne parlera que de la paix qui pourra être acceptée sans faiblesse. Ce qui sera possible, il le fera bien sûrement ; dans tous les cas, le meilleur moyen de doubler son autorité morale, de l’aider dans sa diplomatie, c’est de combattre, c’est de montrer demain sous Paris que la France est digne d’une paix qu’elle pourra avouer devant ses amis et devant ses ennemis.


CH. DE MAZADE.