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Sadowa, a semblé caractériser le réveil à l’action de la race allemande, et c’est sans doute ce qui lui a inspiré les desseins qu’on lui prête. Jusqu’à quel point la Prusse songe-t-elle à fonder une colonie aux Samoa, à prendre possession de l’archipel ? On ne saurait rien affirmer de précis ; mais tel est l’objectif du nouveau consul, et, comme nous l’avons dit déjà, sa conduite, ses desseins sont, à ce point de vue, un sujet d’appréhension pour les autres Européens et surtout pour les chefs indigènes, très jaloux de leur indépendance nationale. Un navire de guerre allemand, parti pour un voyage de circumnavigation, était de jour en jour attendu à Apia. L’arrivée de ce navire, grosse de menaces d’après les demi-confidences de M. Weber lui-même, est-elle destinée à justifier les craintes qu’elle inspire ? Heureusement pour ceux qui redoutent une pareille éventualité, de tels desseins trouveraient sur les lieux mêmes plus d’un adversaire sérieux, très résolu à en empocher la réalisation.

M. Weber, le riche marchand, le consul de la confédération allemande, n’est pas en effet, malgré ces titres divers, le personnage le plus influent d’Apia et de l’archipel. Il a parmi ses propres collègues un rival qui jusqu’à ce jour a su maintenir sa supériorité, qu’on peut regarder comme le grand chef de ces îles, qui perdrait tout à la transformation des Samoa en colonie allemande, et qui par suite s’opposera de toutes ses forces à leur prise de possession. Ce rival, ce grand chef, c’est le consul d’Angleterre, M. Williams.

M. Williams est un Anglais né à Rorotonga (archipel de Cook) ; c’est le fils d’un de ces missionnaires protestans qui, jusqu’à l’arrivée des missionnaires catholiques, avaient, non sans périls, rangé à leurs croyances religieuses et conquis à l’influence politique de l’Angleterre la plupart des îles de la Polynésie orientale. Né au milieu des Indiens, élevé parmi eux, parlant leur langue comme la sienne propre, pénétré de leurs idées, sachant quelles cordes il faut faire vibrer dans leur cœur pour éveiller les sentimens, les craintes, les espérances les plus propres à assurer le succès de ses vues, M. Williams, fort d’ailleurs du concours des missionnaires anglais, a, depuis vingt ans qu’il vit aux Samoa, soit comme marchand, soit comme consul, conquis sur tous les chefs indigènes une influence qui serait souveraine, si depuis quelque temps elle n’était balancée par celle des missionnaires catholiques et surtout de leur chef, Mgr d’Enos. Cette influence, comment l’exerce M. Williams ? Question délicate à laquelle répondra la suite de ce récit.

Derrière le consul allemand, consul et marchand tout à la fois, derrière le consul anglais, si puissant dans l’archipel, gravite, astre secondaire et sans rayons, le consul ou mieux l’agent consulaire américain, M. Coë. Son influence politique est nulle, comme d’ailleurs les intérêts qu’il est chargé de protéger. Il subit l’influence