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Après avoir expédié sa dépêche au ministre, il donna l’ordre de la marche sur la Sambre, ce qui fut exécuté. Les nouvelles qu’on eut alors des ennemis annoncèrent qu’aussitôt que le prince Eugène avait été informé du mouvement de l’armée du roi, il avait mis la sienne en bataille et renvoyé ses équipages à Marchiennes.

La cour ignorait ces divers faits et le mouvement stratégique de l’armée française, lorsqu’elle reçut la dépêche de Villars, datée du 22 et annonçant le projet d’expédition sur Denain. On ne se rendait pas un compte exact, autour du roi, de la lutte qui se produisait dans l’esprit du maréchal en présence des partis à prendre, des accidens survenus brusquement dans ces positions, et de la responsabilité formidable qui s’accumulait sur le général en chef. Villars ne pouvait à chaque moment dépêcher des courriers, indiquer les variations des choses, envoyer des plans des lieux et transmettre la confidence de ses embarras. Cette nécessité même qu’il s’était imposée d’écrire tous les jours était une gêne singulière pour lui, car chaque heure détruisait les impressions de l’heure précédente, et le lendemain effaçait les résolutions de la veille. Aussi cette dépêche du 22 parut-elle à la cour accuser de l’hésitation en présence d’un immense péril. A l’instant même où il recevait la dépêche de Villars, le 23 juillet, le ministre de la guerre adressait au maréchal une lettre qui n’est heureusement arrivée à son adresse que le 24 au soir, le jour même où s’était accompli le triomphe de Denain. Cette lettre est l’expression fidèle de l’inquiétude suprême qui régnait auprès de Louis XIV à cette heure critique dont chacun appréciait les dangers :


« J’ai rendu compte au roi, lui disait le ministre, de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 21 de ce mois. Je crois ne pouvoir me dispenser de vous dire, comme votre serviteur et de vos amis, que la première réflexion que le roi a faite sur cette lettre a été que vous vous trouviez en état de prendre un grand avantage sur les ennemis, en cherchant à les attaquer et à les combattre de l’autre côté de la Sambre. Vous convenez que M. le marquis de Coigny et M. de Geoffreville ont trouvé que, par la disposition du terrain, il y avait assez d’égalité pour le combat entre les deux armées, et vous devez être fort supérieur en. nombre de troupes, puisque celles des ennemis ne sont pas rassemblées (M. Voysin semble avoir été dans l’erreur sur ce point).

« Vous songez à faire attaquer le camp de Denain ; il faut nécessairement que le prince Eugène y ait laissé un nombre de bataillons assez considérable ; il y en a encore à Marchiennes, et ces bataillons, dispersés dans l’étendue de sept lieues, ne sont point à portée de joindre l’armée que vous auriez à combattre.