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si souvent éprouvé par la guerre. Ce jour-là, deux armées allemandes pénétraient à la fois sur notre territoire par deux portes qu’il paraissait facile de fermer, dont nos généraux tenaient les clés dans leurs mains depuis deux semaines, par lesquelles ils espéraient entrer en Allemagne, et qui, contre leur attente, s’ouvrirent tout à coup pour livrer passage à l’invasion. Au lieu de se fortifier sur les hauteurs qui à l’extrême frontière, dominent la vallée de la Sarre et Sarrebruck, au lieu de couvrir par une série d’ouvrages en terre la ligne de défense qui va de Forbach à Sarreguemines et de Sarreguemines à Bitche, nos soldats attendaient, l’arme au bras, dans une oisiveté qui pesait à leur courage, l’ordre de marcher en avant. Tout avait été malheureusement prévu pour une campagne d’Allemagne, rien ne l’était pour une campagne de France. Aussi, la surprise fut-elle terrible lorsqu’on se vit attaqué sans avoir pris aucune précaution pour se défendre. Du premier coup, nous perdions toutes nos positions, et, bien loin de porter la guerre chez l’ennemi, nous la subissions, chez nous dans les conditions les plus désastreuses. Dès le moment où le général Frossard ne se maintenait pas sur la ligne de Forbach, qu’un peu de prévoyance eût rendue inexpugnable, où le général de Failly, à la tête de 35,000 hommes, n’essayait même pas de défendre la ligne de Bitche, les deux départemens de la Moselle et de la Meurthe étaient envahis à la fois, exposés en même temps aux attaques de l’ennemi, quoique destinés néanmoins par la nature de leurs défenses à des fortunes très différentes. Tandis que l’un, appuyé sur une forteresse de premier ordre, gardé par une armée, devait arrêter nécessairement la marche des Prussiens, l’autre, sans soldats, sans place forte importante, avec une population complètement désarmée, ne pouvait opposer à l’ennemi aucune résistance.

A Nancy, on le comprit tout de suite en apprenant coup sur coup le désastre de Reischoffen, la retraite précipitée du maréchal Mac-Mahon et l’inexplicable déroute du général de Failly. Les premiers fuyards de l’armée arrivés dans la ville ne laissèrent aux habitans aucune illusion. Une autre année, on eût pu compter que l’étang de Lindre, inondant la vallée de Dieuze et couvrant la petite place de Marsal, retarderait la marche des Allemands ; mais cette année précisément l’étang était à sec. Cette mince défense elle-même manquait à une cité ouverte, où avait campé, quelques jours auparavant, toute la garde impériale, où ne restait plus alors un seul soldat, qu’on semblait livrer à plaisir aux mains de l’étranger. Qu’on se représente l’indignation et la frayeur d’une population sans aides, privée de tout secours militaire, surprise par la rapidité des événemens, qu’aucune autorité n’avait prévenue du sort qui la menaçait, à laquelle même on essayait de faire croire jusqu’au bout