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dénoûment de l’École des vieillards. Ces deux écrivains étaient des talens de même famille, esprits ingénieux, natures tempérées et correctes, versificateurs spirituels. Diderot aurait sans doute appliqué aux pièces du second, ce qu’il dit de l’œuvre de début du premier : « C’est une pelure d’oignon brodée de paillettes d’or et d’argent. »

A propos d’un joueur qui a perdu sa dernière pistole, un personnage de la comédie de Collin fait cette plaisanterie :

Il s’en relèvera par une banqueroute.


C’est à peu près là le sujet traité par Picard l’année d’après, en 1801, et l’aventure de son financier Durville, un banquier qui veut sortir d’embarras par la porte dérobée de la faillite frauduleuse. Voici encore un auteur d’humeur douce et facile que les circonstances ont armé au moins un jour du fouet d’Aristophane. Ce bon Picard, qui disait que le but de la comédie était de faire rire les braves gens, perdit sa gaîté inoffensive dans Duhautcours, ou le Contrat d’union. A son tour, il suppléa aux lois impuissantes, et les auditeurs s’étonnèrent de le trouver cette fois si sérieux. Aussi bien que Collin d’Harleville et non moins à tort, il a été regardé comme une âme timide, comme un caractère insouciant, au milieu des redoutables péripéties de la révolution. Comme lui aussi, il a prouvé un jour que le courage ne lui manquait pas, et il a bravé la colère de puissans fripons.

Duhautcours est, à l’exemple du Basset de Collin, un obscur aventurier de la Bourse, un agent secondaire au service du financier ; mais quelle différence pour la verve et le mouvement qui l’animent ! Autant Picard est inférieur à son contemporain par les détails du style, autant il l’emporte par la vivacité des scènes et par l’entrain des personnages. Ce Duhautcours aime son métier de passion, cela se devine. Quand il expose le plan de la banqueroute, quand il prépare ses batteries, on dirait un général qui va livrer bataille. Le bal, le feu d’artifice, les décorations, tout ce qui doit éblouir la foule et la tromper sur l’état des affaires de Durville, il veille sur tout, il a l’œil à toute chose. Il a fixé le moment où l’événement de la banqueroute doit éclater ; il a réglé d’avance l’attitude que doit garder, les paroles que doit prononcer son patron. Le rôle même de Mme Durville est tracé ; le moment où elle doit s’évanouir, le cri qu’elle doit pousser est prévu. Il faut le voir dans le combat même, au milieu de l’assemblée des créanciers : c’est un capitaine qui dans la mêlée conserve tout son sang-froid et porte ses forces partout où l’ennemi semble prendre l’avantage. Il se heurte à forte