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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/163

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Était-il une catastrophe pareille à celle-là ? Eh bien ! ce n’était pas encore là le châtiment de Napoléon Ier. Sainte-Hélène, l’océan solitaire, le vautour anglais qui dévorait sur son rocher le nouveau Prométhée, misères affreuses, insuffisantes pourtant, selon le poète, aux yeux de la justice divine ! Quel sera donc le châtiment ? Ce sera le retour funeste de la race du capitaine, la parodie de son empire, la gloire souillée par ceux qui s’en viennent l’exploiter à leur profit ! Si cette fin restait noblement sévère, si elle ne touchait pas en quelques points au trivial, cette pièce de l’Expiation serait un chef-d’œuvre unique. Telle que nous l’avons, c’est une page que notre temps pourra présenter avec confiance aux âges futurs.

Prenons le livre pour ce qu’il est : un duel à mort entre l’exilé de Jersey et l’auteur du coup d’état du 2 décembre. Un duel ! ce mot dit toute notre pensée. Un poète a engagé un combat singulier contre un empereur, et après dix-huit ans il a remporté la victoire. Que ce Goliath ne soit pas précisément tombé sous la pierre que de l’autre côté de la mer lui lançait ce David confiant dans sa fronde et son bon droit, peu importe. Il s’est écroulé, et le premier coup qu’il a reçu lui vient de la muse vengeresse. Tout ce qu’a pu dire, tout ce qu’a pu faire depuis l’auteur des Châtimens a été sans influence sur l’issue de la lutte ; mais le jour où il a publié cette œuvre, il a ouvert le combat que d’autres devaient achever, l’étranger, hélas ! Il a fait une blessure que son adversaire a pu ne pas sentir, mais dont le venin est entré dans les veines. Celui-ci s’est jugé à l’abri des coups portés parce qu’ils semblaient passer la mesure : c’est là le poison qui l’a perdu. Il n’a pas tenu compte de la vérité cachée sous l’injure. Nous ne croyons pas être dupe d’un fatalisme subtil, mais il nous semble que presque toutes les accusations dont ce livre fourmille, celui qui en était l’objet s’est appliqué à les mériter, que presque toutes les folies dont on le déclarait capable, il a voulu les commettre, que le fatal dénoûment qu’on lui prédisait, il s’est arrangé pour le rendre possible. Nous l’avouons, dans notre impartiale sévérité, ces accusations nous semblaient exagérées ; ces folies, le passé nous montrait bien qu’elles étaient à craindre, mais faute de mieux nous placions notre espoir dans un rayon de bon sens, et qui sait ? dans la leçon de l’expérience ; ce dénoûment, nous sentions que le poète, pas plus que nous, n’en avait le secret. Ici le bon sens public semblait meilleur prophète que l’Orphée de la république. Enfin, pour n’être pas probable selon les prévisions de l’écrivain, il n’en est pas moins vrai que celui-ci annonçait à des lecteurs incrédules l’écroulement de toute cette fausse puissance. Loin de nous la pensée d’accabler un homme tombé ; cependant ce prince fatal à la France s’est-il donc proposé de prouver que nous avions tous,