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quérant : « la force prime le droit ! » De cette guerre qu’il méditait, que l’état-major prussien préparait depuis quatre ans, le chancelier de la confédération du nord veut retirer tout le fruit possible, non plus seulement le fruit naturel, légitime, avouable, mais un fruit proportionné à une ambition croissante, à un orgueil enivré par la victoire. Lorsque la France succombait sous le poids de la coalition européenne en 1814 et en 1815, le représentant de la Prusse d’alors, le prince de Hardenberg, adressait au congrès de Vienne un mémorandum où déjà il réclamait le démembrement de la France comme le prix nécessaire des victoires de l’Europe, de la coopération prussienne. Le prince de Hardenberg demandait, lui aussi, la « clé de la maison » pour l’Allemagne, et il jouait sur ces mots de la puissance offensive et de la puissance défensive. « Lorsqu’une nation a surpassé sa défensive marquée par la nature ou par l’art, disait-il, elle devient offensive et menaçante ; son activité, sa force, sa politique, ses institutions, son esprit national, son opinion publique, tout prend la direction de sa situation géographique, et elle conservera cet esprit aussi longtemps que sa situation géographique restera la même. La France se trouve dans ce cas depuis Louis XIV. » C’est cette politique qui reparaît aujourd’hui avec des redoublemens d’âpreté, avec une opiniâtreté plus impérieuse et plus implacable naturellement, d’autant plus implacable que la Prusse n’a plus à compter avec personne ; c’est la politique que M. de Bismarck déploie sans nul déguisement en racontant à son tour l’entrevue de Ferrières, et qui dans sa brutalité semble presque s’étonner qu’on ne la remercie pas de sa modération. Bien entendu, le chancelier de la confédération du nord ne travaille que pour la paix ; s’il veut nous faire l’amputation de deux provinces, c’est parce qu’il craint que nous ne gardions rancune à l’Allemagne, et que nous n’abusions encore de la puissance offensive. Il parle de tout cela avec la désinvolture d’un victorieux ou avec la satisfaction d’un propriétaire qui se croit tout près de rentrer en possession de son bien.

Pourquoi la France attacherait-elle son honneur aux « conquêtes violentes et injustes de Louis XIV ? » Pourquoi la « restitution » de Strasbourg serait-elle un déshonneur ? — Pourquoi cela ? — Mais en vérité M. Jules Favre le dit avec une spirituelle ironie dans sa réponse à la circulaire du chancelier de la confédération du nord : lorsque M. de Bismarck nous propose de revenir à la situation territoriale que nous avions avant Louis XIV, est-ce qu’il accepterait pour lui-même, c’est-à-dire pour son pays, les conditions de ce temps ? est-ce qu’il accepterait pour « son maître, » pour le roi Guillaume, la petite couronne des princes prussiens de cette époque ? Le roi Guillaume trouverait peut-être que ce n’est pas à ce moment de l’histoire qu’il faut s’arrêter. — Pourquoi la France ne reconnaîtrait-elle pas sa défaite en cédant l’Alsace et la Lorraine ? Re-