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Ville comme le chef populaire d’une révolution triomphante, et tout ce qu’on peut dire, c’est que, transporté à ce sommet de ses ambitions politiques, il ne se montrait point assurément au-dessous de la crise où il s’engageait, où il engageait la France avec lui. Il n’y a point pour un homme de fortune plus éclatante que celle de personnifier, ne fût-ce que momentanément, une société en péril, de sentir palpiter en lui l’âme de son pays. Ce fut en toute réalité la fortune de Lamartine pendant ces trois mois de gouvernement provisoire qui étaient trois mois de luttes et de dramatiques incertitudes entre le tourbillon de la veille et le tourbillon du lendemain. Puisqu’il s’est servi de ce mot peu républicain, c’était un roi d’une heure ou de trois mois, un roi par le génie et par l’éloquence, par l’imagination et par l’héroïsme, un magistrat de l’opinion gouvernant en quelque sorte dans le vide de toutes les institutions et de toutes les forces organisées, désarmant par la parole les irritations et les défiances, jouant avec la tempête, ou, pour parler son langage, conspirant avec les conspirateurs comme le paratonnerre conspire avec la foudre, conquérant chaque jour un peu de paix intérieure pour conduire la France au moment où, représentée dans une assemblée, elle rentrerait en possession d’elle-même.

En voyant Lamartine à l’Hôtel de Ville dans ce temps légendaire du gouvernement provisoire, on se ressouvient involontairement de ces portraits de Mirabeau, de Vergniaud, que l’auteur des Girondins retraçait une année auparavant en se contemplant d’avance lui-même dans ces figures. « Son éloquence, toute populaire qu’elle fût, était celle d’un patricien, disait-il de Mirabeau. Sa démocratie tombait de haut : elle n’avait rien de ce sentiment de convoitise et de haine qui soulève les viles passions du cœur humain. Ses sentimens populaires n’étaient en quelque sorte qu’une libéralité de son génie. En conquérant des droits pour le peuple, il avait l’air de les donner. C’était un volontaire de la démocratie. « la nature l’avait fait le premier… » Mettez à côté ce qu’il disait de Vergniaud : « C’était un instrument d’enthousiasme qui ne prenait sa valeur et sa place que dans l’inspiration. Sa phrase avait les images et l’harmonie des plus beaux vers. S’il n’avait été l’orateur d’une démocratie, il en eût été le philosophe et le poète. Il adorait la révolution comme une philosophie sublime qui devait ennoblir la nation tout entière sans faire d’autres victimes que les préjugés et les tyrannies. il avait des doctrines et point de haines, des soifs de gloire et point d’ambitions. Le pouvoir même lui semblait quelque chose de trop réel, de trop vulgaire ; il le dédaignait pour lui-même et ne le briguait que pour ses idées. » Au fond, à quelques nuances près, c’est encore Lamartine, patricien initiateur de démocratie, orateur