Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/611

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

théâtre de véritables expériences sur l’aptitude des diverses races humaines à supporter ce milieu exceptionnel et l’un des plus difficiles à dominer. Le nègre y a été traîné de force bien peu après la prise de possession par les blancs ; il y a vécu comme esclave jusqu’à ces dernières années. Comme les fils subissaient la condition des parens, il est à peu près certain qu’au bout d’un temps donné la multiplication locale des noirs aurait suffi à tous les besoins de l’agriculture et de l’industrie, si cette race s’était acclimatée. L’activité incessante de la traite semble démontrer que le chiffre des décès devait l’emporter de beaucoup sur celui des naissances. Le fait paraît avoir été mis hors de doute pour l’île de Cuba, pour la Jamaïque. Le général Tulloch, frappé de la mortalité des nègres dans les Antilles anglaises, n’a pas hésité à déclarer qu’une fois la traite supprimée, la race entière disparaîtrait de ces îles au bout d’un siècle. Les recherches de M. Boudin permettent de regarder cette assertion comme exagérée, du moins pour les possessions françaises. Au reste, pas plus que l’auteur anglais, notre compatriote n’a tenu compte d’une circonstance dont l’importance ne saurait être méconnue, je veux parler des conditions faites au nègre par l’esclavage. Il est clair que la conduite et le caractère du maître entraient pour beaucoup dans les chances de vie et de mort de l’esclave. Sans se croire, sans être inhumain, on pouvait lui demander plus d’ouvrage que ne comportait sa nature, on pouvait violenter des instincts dont le jeu libre est nécessaire à la santé. Là est sans doute une des causes qui accroissaient outre mesure la mortalité d’une race mieux faite pourtant que la nôtre pour les climats intertropicaux. Les faits semblent justifier ces présomptions. Depuis l’abolition de l’esclavage, nous dit M. Elisée Reclus, la population nègre est en voie d’accroissement dans les îles anglaises.

A côté des nègres créoles viennent aujourd’hui se placer des engagés plus ou moins volontaires amenés des mêmes côtes d’Afrique : des Madériens, représentans de la race blanche sémitique, des Chinois de race jaune, des coulies de l’Inde, presque tous dravidiens, tenant par conséquent du jaune et du nègre mélanaisien. Il sera curieux de constater un jour ce que chacune de ces populations aura montré de résistance au terrible milieu qu’elles vont affronter. L’expérience n’en est encore qu’à son début. Toutefois M. Walther a recueilli déjà quelques données intéressantes. A la Guadeloupe, la mortalité annuelle pour les créoles est en moyenne de 3,28 pour 100, celle des immigrans est de 9,66 pour les Chinois, de 7,68 pour les nègres, de 7,12 pour les Hindous, de 5,80 pour les Madériens. Malheureusement ces chiffres reposent sur des élémens insuffisans. Ils diffèrent aussi de ceux que M. Du Hailly a donnés ici même pour