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sans échapper pourtant d’une manière absolue à une influence foncièrement funeste.

Cette immunité relative explique sans doute pourquoi le nègre créole d’Amérique échappe presque à coup sûr à la fièvre jaune. Il transmet ce privilège à son fils mulâtre, à son petit-fils quarteron ; il paraît que même un huitième de sang nègre suffit pour protéger l’individu contre ce redoutable fléau de l’Amérique tropicale, avec presque autant de certitude que la vaccine préserve de la variole. Le croisement modéré avec les races locales produit du reste en Amérique un résultat analogue, et amène une acclimatation très rapide sans que la race blanche ait à en souffrir ; parfois aussi elle semble y gagner et par là échappera toute altération. M. Angrand, consul de France au Pérou, nous a cité l’exemple d’une famille où se conserve depuis les premiers temps de la conquête la beauté des formes et une énergie d’esprit et de corps qui contraste avec ce qu’on reproche souvent à trop juste titre aux populations créoles. Cette famille descend d’un capitaine espagnol et d’une princesse Inca. Depuis lors, elle ne s’est alliée qu’à des blancs purs. Le premier et unique croisement a suffi pour acclimater le sang blanc en lui conservant sa valeur tout entière[1].

Il va sans dire que les prescriptions de l’hygiène doivent être scrupuleusement suivies par quiconque change de milieu, par celui surtout qui affronte quelqu’une des régions à bon droit regardées comme insalubres. Et ce n’est pas seulement l’hygiène du corps dont il s’agit ; l’hygiène de l’âme est tout aussi nécessaire. Dans bien des cas, cette dernière commande et entraîne l’autre. Les difficultés de l’acclimatation dans la plupart de nos colonies, les accidens et les décès qui suivent trop souvent une première introduction, tiennent presque toujours à des écarts que préviendraient une moralité même assez peu susceptible, de simples habitudes de régulant : M. Bolot, commandant d’une compagnie de discipline chargée de construire une jetée à Grand-Bassam, disait au capitaine Vallon : « Un dimanche me met plus d’hommes à l’infirmerie que trois jours de travail en plein soleil. » C’est que le dimanche était consacré à la débauche.

Voici du reste un fait qui constitue pour ainsi dire une expérience telle qu’aurait pu l’imaginer et la conduire un physiologiste. L’île Bourbon, placée à l’est de Madagascar, presque sous le tropique, passe pour être une de ces localités dévorantes où l’Européen ne peut s’acclimater. A ne juger que par les tables de

  1. La question du croisement des races humaines, l’influence qu’il exerce sur les souches parentes, la quantité relative de sang étranger que peut recevoir une race sans être sensiblement altérée, les conditions sociales qui exercent une action manifeste sur le résultat de ces croisement, font de la question que je me borne à indiquer ici un des problèmes les plus complexes de l’anthropologie.