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de force. Le duc fut sauvé comme par miracle. Je lep nsay, Dieu le guarit, dit simplement Ambroise Paré.

Mais l’admirable maître donna des leçons d’humanité autant que des leçons de chirurgie. Les barbiers-chirurgiens étaient alors attachés à la personne et à la solde d’un grand seigneur ; il n’y avait pas de chirurgien du soldat. C’est le temps où La Noue écrivait rudement : « Le lit d’honneur des blessés est un bon fossé où une arquebusade les aura jetés. » Ambroise Paré vit un jour creuser une fosse pour un soldat mourant que sa compagnie près de partir allait abandonner. Il réclama, le fit placer sur une charrette, « lui fit office de chirurgien, de médecin, d’apothicaire, de cuisinier, » et fit si bien qu’il le sauva. Les soldats voulaient porter le chirurgien en triomphe ; à la première étape, chacun des hommes d’armes lui donna un écu, chacun des archers un demi-écu. C’était la première ambulance volante. Quelques années après, le maître barbier étonnait beaucoup sa femme, fille du valet-chauffe-cire de la chancellerie, en lui apprenant que le roi avait daigné le faire inscrire sur la liste de ses chirurgiens.

Charles-Quint venait de passer le Rhin avec 120,000 hommes et d’envoyer le duc d’Albe mettre le siège devant Metz, noble ville destinée à souffrir toujours la première dans les malheurs de la patrie, et qui était alors accablée par la guerre, l’hiver et la maladie. Les soldats croyaient en outre être victimes du poison. Le roi envoya Paré à Verdun ; un capitaine italien s’engagea, pour 1,500 écus, à l’introduire dans Metz. Paré y entra, après mille dangers, le 8 décembre 1552, à minuit, par la porte Moselle, et le lendemain le duc de Guise le présenta sur la brèche à tous les capitaines, qui l’embrassèrent avec effusion, « Nous sommes sauvés, s’écriaient les soldats, notre Ambroise est avec nous ! » Il releva les courages et contribua au salut de la ville. Il était peu de mois après dans Hesdin, où les soldats se le disputaient et le portaient comme un corps saint ; mais il fallut se rendre, et il ne sortit que déguisé en ramoneur, après avoir été pris et condamné aux galères. Il avait alors trente-six ans, et il en avait passé dix-sept à la guerre, en Italie, aux Pyrénées, dans le Luxembourg, près de la Moselle, en Flandre, ou dans son humble boutique à Paris.

Il aimait cette ville, où il avait fait ses premières études, où il s’était marié, et, témoin des querelles continues de l’Université avec la confrérie de Saint-Côme, qui avait fini par obtenir le titre de collège des chirurgiens, il servit à fonder solidement ce premier corps chirurgical pratique en acceptant d’y être reçu, bien qu’il ignorât le latin ; mais on ferma les yeux pour cette fois, et le chirurgien du roi fut admis aux examens le 18 août 1554, reçu