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sienne retranchée sur des hauteurs, personne n’en aurait rien cru. » C’est là ce qui a été réalisé, et si cette armée a repassé la Marne deux jours après, c’est parce qu’elle était sûre qu’elle allait rencontrer désormais toutes les forces de l’ennemi concentrées devant elle, parce qu’elle était appelée par ses chefs à reprendre la lutte sur d’autres points ; elle a repassé la Marne pour ainsi dire en victorieuse, en plein jour, sans être un instant inquiétée, prête à recommencer le combat suprême. L’effet moral et militaire du premier moment n’a point été diminué par cette évolution stratégique ; un rayon de victoire accompagna nos soldats dans cette lutte terrible qu’ils soutiennent contre un ennemi implacable qui a pu déjà mesurer, à la vigueur de nos coups, aux pertes qu’il a subies, ce qui l’attend encore sur cette route de meurtre où il lui plaît de pousser deux nations.

Sans doute il est malheureusement vrai que dans nos tristes affaires il y a toujours un grand et redoutable inconnu, que rien n’est fait tant que tout n’est pas fait, c’est-à-dire tant que l’ennemi n’a pas été contraint de lâcher prise, que la réussite des opérations engagées sous Paris dépend en partie des opérations de nos armées de province, que les revers enfin peuvent à tout instant, suivre les succès que nous retrouvons. Cette lutte que rien n’a pu détourner, on la soutiendra jusqu’au bout ; on la prolongera, s’il le faut, bien au-delà de tout ce que pensaient les Allemands, qui se figuraient peut-être arriver sous Paris comme à un rendez-vous de fête militaire. En un mot, c’est la guerre dans tout son feu, dans toute son intensité, avec toutes ses poignantes alternatives ; mais, puisqu’il en est ainsi, puisqu’on n’a pas trouvé la moyen de mettre les destinées des nations au-dessus, de ces sanglans holocaustes, ce serait bien le moins, qu’on se fît un devoir de maintenir dans ces conflits de la force ces conditions de droiture, de loyauté, de sincérité, qui sont un dernier signe de civilisation entre des peuples éclairés réduits à se combattre. Depuis trois mois en vérité, la Prusse, est perpétuellement occupée à effacer ces conditions supérieures de son code militaire et politique ; depuis trois mois, elle travaille à envelopper la France d’un réseau de mensonges de façon à la rendre méconnaissable à ses propres yeux, de façon, à tromper l’Allemagne elle-même peut-être aussi bien que l’Europe. Tantôt ce sont nos grandes villes, qui se débattent dans la guerre civile, tantôt c’est notre colonie africaine qui est en combustion, et qui va nous échapper. La tactique prussienne est invariable, elle tend à créer la confusion pour rester seule maîtresse de ses mouvemens. Après tout, M. de Moltke n’a pas obéi, à une autre inspiration, en prenant sa plume la plus équivoque et la plus cauteleuse pour nous informer au lendemain de nos derniers succès sous Paris, que l’armée de la Loire venait d’être défaite, qu’Orléans était retombé au pouvoir des Prussiens. Le chef d’état-major du roi Guillaume offrait, il est vrai, au général