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des habitudes d’une partie de l’Allemagne. Ce n’est pas sans émotion qu’il voit chaque soir les enfans de ses hôtes s’approcher respectueusement du père et de la mère avant de se mettre au lit, s’incliner, leur baiser la main et leur souhaiter le bonsoir avec grâce. Il saisit là au passage, dans la classe la plus humble, comme une nuance naturelle de la délicatesse native que nous ont toujours attribuée les étrangers.

Mais la guerre assombrit, hélas ! ces demeures hospitalières et fait peser sur les habitans de lourdes charges. Goethe voyait avec tristesse les maux que causait l’invasion, et, autant qu’il dépendait de lui, les adoucissait. Il ne pouvait souffrir que sous ses yeux on portât le désordre dans un intérieur paisible, qu’on arrachât de force à nos malheureux paysans ce qui leur appartenait. Il lui arriva de faire restituer par des soldats prussiens déguenillés et grelottant de froid les vètemens qui venaient d’être volés par eux dans des maisons françaises. En quittant ses hôtes d’un jour, il prenait même quelquefois la précaution de les mettre en garde contre les maraudeurs que toute grande armée traîne à sa suite, il les engageait à recevoir de pareilles gens, s’il s’en présentait, en dehors de la maison, sur le devant de la porte, à leur offrir au besoin un morceau de pain ou un verre de vin, mais à ne laisser pénétrer « cette canaille » dans l’intérieur qu’à la dernière extrémité, parce qu’alors on ne pouvait plus leur résister. Malheureusement il y a une autre sorte de pillage, le pillage méthodique, auquel un simple particulier ne peut guère s’opposer, et que les généraux prussiens pratiquaient déjà sous la forme de réquisitions. La Prusse a toujours été d’avis que la guerre doit nourrir la guerre, et qu’en campagne il faut tâcher de vivre aux dépens de l’ennemi. D’ailleurs, comme en 1792 les alliés croyaient nous rendre un grand service en nous ramenant les émigrés, en venant rétablir le roi dans la plénitude de sa puissance, ils n’éprouvaient aucun scrupule à se payer eux-mêmes de leurs peines. Déjà ils excellaient à mettre de leur côté, par des raisonnemens spécieux, l’apparence du droit et de la légalité. Ils n’agissaient point en leur nom, ils ne prenaient sur eux la responsabilité d’aucun des actes auxquels les condamnait l’esprit indocile d’une partie de la nation ; ils prétendaient n’agir qu’au nom de Louis XVI, ils invoquaient en toute occasion l’autorité royale, dont ils se bornaient à tenir la place. Chaque fois qu’ils dépouillaient un habitant, ils lui offraient en échange un bon que le roi de France devait payer après la guerre ; mais nos paysans n’attachaient pas plus de prix à ces chiffons de panier qu’ils n’en attachent aujourd’hui aux traités sur le vaincu que leur offrent quelquefois, pour les consoler de leur ruine, les commandans prussiens. Goethe observe avec raison qu’aucune mesure n’excita dans le peuple une plus grande