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L’IDÉE DE LA PATRIE


SES DÉFAILLANCES ET SON RÉVEIL




Il est donc venu, le moment psychologique du bombardement, annoncé par les aimables pédans de l’état-major prussien. C’est en même temps l’aube de la nouvelle année qui vient d’éclore frissonnante et ensanglantée. C’est elle que célèbrent ces coups répétés sur un rhythme funèbre, impatiemment attendu par la noble et poétique Allemagne, invoqué par le chœur des douces fiancées de là-bas, et qui va remplir enfin les vœux de leur candide férocité. En effet, partout où passe cet ouragan, la dévastation s’accomplit, la mort fait son œuvre. Seuls, immobiles sous cette tempête de feu, pareils à des navires qui tiennent la proue debout contre la mer furieuse, nos forts, presque silencieux, attendent l’assaut de l’invisible ennemi, qui ne révèle sa présence que par l’éclair de ses batteries ; mais tout autour de nous les villages s’abîment sous ce niveau meurtrier ; les églises s’effondrent, les châteaux ne tiennent plus au sol que par quelque par de muraille ; les fermes, broyées par les obus, couvrent de leurs débris ces jardins, ces champs hier si fertiles, aujourd’hui stérilisés sous les décombres et la neige ; les bois fracassés, fouillés en tout sens par la mitraille, portent témoignage contre cette guerre impie qui détruit tout, qui viole la nature comme l’humanité, qui tarit la vie dans les germes, aux entrailles de la terre, comme elle la détruit à nos foyers, dans les berceaux. Cette immense désolation des choses, cette stérilité des campagnes, cette dévastation de la terre et cet égorgement des hommes, tout cela, c’est le prix de la couronne du nouvel empereur d’Allemagne. N’arrêtez pas ce fleuve de sang qui emporte toute une génération. Laissez passer la justice du roi Guillaume, l’élu de Dieu.

Et pendant ce temps la France, envahie sur une grande étendue, pillée, rançonnée, sillonnée dans tous les sens par le rude soc de la