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la Hollande. Qu’avez-vous à dire ? Le principe des nationalités a prononcé contre vous.

En face de ces confusions d’idées spécieuses, de faux principes et de droits mensongers, plaçons l’idée de la patrie. Comme cette idée est claire, comme le sentiment qu’elle éveille est précis et profond ! Et cependant la difficulté est tout autre pour un grand pays moderne de se définir lui-même qu’elle n’était pour ces patries antiques qui se confondaient avec la cité, qui avaient un corps mesurable, des frontières visibles, un horizon limité, embrassé du regard par le citoyen, comme Athènes ou Rome. Malgré cette difficulté, qui de nous ne conçoit et ne sent ce que c’est que la patrie ? La race est un élément secondaire. Il y a plusieurs races en France, des Gaulois, des Romains, des barbares, des Allemands. La langue n’est pas davantage l’élément essentiel. Le Breton, qui parle comme parlaient ses ancêtres les Celtes, s’estime Français au même titre que l’Alsacien, qui parle allemand. La religion n’est pas non plus le trait dominant. À l’heure où nous sommes, qui pourrait dire chez qui le patriotisme est le plus vif, chez les catholiques ou les protestans ? laquelle des deux religions a le plus souffert des malheurs du pays ? Qui pourrait mesurer ces douleurs ? — L’unité de l’état, accomplie dans un certain organisme d’institutions, donne bien certainement un corps, une réalité solide à l’idée de la patrie. Cela ne suffit pas cependant. Voyez la Pologne réfractaire à toutes les tentatives d’assimilation de la Russie, et après un siècle d’histoire en commun, imposée par la force, refusant encore comme au premier jour d’entrer dans l’organisme préparé pour la recevoir. C’est qu’à tout cela il manque quelque chose, la flamme qui seule peut fondre tous ces élémens réfractaires dans l’indissoluble unité. L’amour, voilà le vrai principe ; l’amour, c’est-à-dire l’unité acceptée, voulue, consacrée par des souffrances communes et des dévoûmens réciproques, l’unité cimentée par le sang et les larmes des générations, voilà la patrie. Elle n’est pas ailleurs. Ainsi se fonde l’intime solidarité des familles placées sur le même territoire ; ainsi se réalise, par un sentiment d’une énergie que rien ne peut abattre, cette âme collective, formée par toutes les âmes d’un pays, et qui, plus heureuse que le territoire lui-même, échappe aux prises de la force et défie la conquête.


II.

Nous avons montré sous quelles influences le patriotisme s’était énervé dans ces dernières années. Il n’est pas nécessaire, au moment où la France porte au sein la blessure de l’invasion, à l’heure même où des quartiers de Paris s’abîment sous les bombes, de montrer comment a disparu cette mortelle langueur, comment la