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que nous avons connu, le voila prêt au sacrifice, se moquent peut-être de lui-même, parce qu’il faut bien garder quelque chose de son tour d’esprit et de ses habitudes, mais capable de mourir pour une idée qu’il raillaît hier, pour le devoir dont il plaisantait à son cercle, pour la patrie dont il applaudissait les parodies sur les scènes infimes. Tel est le Français, celui de Paris surtout ; ceux qui l’ont jugé autrement n’ont rien compris à cette bizarre essence. Le mal était dans l’esprit plus que dans le cœur. Voila ce qu’ignoraient les lourds moralistes de l’Allemagne qui venaient nous juger, étudier nos légèretés sur l’asphalte des boulevards ou à l’orchestre des petits théâtres, et qui, rapportant à Berlin le témoignage de la pudeur offensée, sollicitaient le plus pieux des rois de venir nous rendre des mœurs à coups de canon.

Les signes du patriotisme réveillé, ils sont partout. Que nous sommes loin déjà, — au moins par le temps moral, celui que mesurent non pas les jours, mais les idées, — que nous sommes loin de ces théories commodes et paresseuses qui remettaient au soin de l’état la sûreté de nos biens, celle de nos existences, la dignité et la défense du pays ! Nous nous étions habitués à croire que le salut privé et public était chose officielle, administrative, qui regardait en premier lieu la gendarmerie, en second lieu l’armée, au sommet de la hiérarchie le souverain. Pour nous, il semblait que ce n’était pas notre affaire. Nous comprenons maintenant quel risque nous a fait courir cette abdication momentanée de nos devoirs les plus sacrés, ceux de qui dépendent à un moment donné la fortune et l’existence d’une nation. Les énergies individuelles se sont ranimées, elles se relèvent d’un élan superbe qui ne demande qu’à être soutenu pour que la France soit sauvée. Chacun ne compte plus que sur soi-même pour protéger la chose commune, le bien de tous. On n’admet plus de sauveurs par procuration. Nous sentons qu’il ne nous est plus permis de déléguer à personne l’honneur du péril, la responsabilité de l’effort, que pour tous le danger doit être le même, l’obligation commune ; que la dette envers le pays doit être payée au même prix et du même sang, enfin qu’il n’y a ni privilège ni dispense devant la question de vie ou de mort posée à la France. Si cet instinct salutaire devient une conviction raisonnée, s’il s’enracine dans le cœur de la nation, ne désespérons pas d’elle. Perdue par ceux qui avait pris à forfait l’entreprise du bonheur et du salut public, relevée par un miracle de l’activité individuelle, garantie par le souvenir de nos revers contre les tentations et les revanches de la force, confirmée enfin par l’esprit de sagesse qui émanera de la conscience publique, la fortune de la France peut arriver à ce point où elle n’aura d’égale que sa justice et sa modération.