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mois de siège, les 60,000 assiégeans, toujours inquiétés, n’avaient encore pu ni ouvrir les tranchées, ni commencer aucune opération sérieuse. Sentant leur impuissance momentanée et désireux de s’épargner la longueur d’un blocus, ils essayèrent à plusieurs reprises de déconcerter la garnison de Mayence par de fausses nouvelles ou par des ouvertures pacifiques. Un jour, ils envoyaient un parlementaire annoncer à la ville qu’un messager de Custine venait d’arriver dans leur camp, et apportait aux généraux français des nouvelles importantes. Le général Doyré, qui commandait la place, et le représentant du peuple Rewbell se rendirent à l’invitation des Allemands, et acceptèrent une entrevue avec le prétendu messager en présence de l’état-major prussien et hessois. Là, ils trouvèrent un inconnu chargé de leur apprendre que l’armée de Custine, fort affaiblie, ne pouvait les secourir, que Paris venait de s’insurger, de dissoudre la convention et de proclamer roi le dauphin. Pour confirmer la vérité de ce récit, un officier prussien tira de sa poche un Moniteur de la république imprimé à Francfort qui contenait les mêmes détails. D’autres Moniteurs, répandus par les avant-postes, pénétraient dans la forteresse et devaient servir à jeter le découragement parmi nos soldats. Le système des fausses nouvelles faisait déjà partie, on le voit, de l’arsenal de guerre des Prussiens. On ne peut s’empêcher d’établir un rapprochement entre les communications qu’adressaient nos ennemis en 1793 aux défenseurs de Mayence et l’assurance donnée par eux à l’envoyé du maréchal Bazaine au quartier-général de Versailles que le drapeau rouge flottait dans les principales villes de France, que le pays tout entier était en proie à l’anarchie, qu’on n’obéissait nulle part à la délégation de Tours, que la province appelait l’étranger pour rétablir l’ordre, et qu’à Rouen les soldats prussiens veillaient à la sécurité des habitans de concert avec la garde nationale. Nous aussi, nous avons reçu à Paris des messages menteurs qui nous annonçaient le découragement de la population et la perte de toutes nos espérances au moment même où l’armée de la Loire combattait avec le plus d’énergie. Ni Doyré ni Rewbell ne tombèrent plus que nous dans le piège qu’on leur tendait, quoique la plus grande souffrance des assiégés fût de ne rien savoir de ce qui se passait au dehors et de combattre peut-être pour une cause perdue. Des ouvertures pacifiques ne réussirent pas davantage à désarmer la garnison. Un déjeuner auquel le prince Ferdinand de Brunswick invita Rewbell n’aboutit qu’à faire connaître aux Prussiens l’inébranlable résolution que les Français avaient prise de se défendre jusqu’au bout.

Malgré leur désir d’en finir au plus vite et de profiter de la belle saison pour commencer la campagne vers la frontière de France, les