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Les artilleurs allemands le voyaient avec surprise s’aventurer derrière des gabions jusqu’à deux cents pas des redoutes françaises, sur les glacis de Mayence. Il y allait pour s’instruire, pour augmenter la somme de ses connaissances positives ; mais il y allait aussi pour ne pas demeurer inactif au milieu de l’activité générale, pour donner le change à ses pensées douloureuses, et tromper par le mouvement du corps les angoisses de l’âme. Au fond, les scènes lugubres de la guerre le remplissaient d’une tristesse à laquelle il essayait d’échapper par l’exercice physique et l’apparence de l’action, elles le pénétraient d’inquiétudes qu’il ne parvenait à maîtriser qu’à la condition de s’étourdir. L’ivresse même que donne le péril lui paraissait préférable à un repos où les pressentiment les plus sombres seraient venus troubler sa sécurité. Il a lui-même exprimé l’état pénible de son esprit dans un passage de sa narration où il s’excuse de laisser une lacune de plusieurs jours. « On ne doit pas s’étonner, dit-il, de trouver ici un vide. Chaque journée apportait son malheur ; on était à chaque instant inquiet de son prince, de ses amis, on oubliait le soin de sa propre conservation. Fasciné par le danger comme par le regard d’un serpent à sonnettes, on se précipitait spontanément dans les champs de mort, on parcourait les tranchées, on voyait les obus passer avec fracas au-dessus de sa tête et éclater à ses pieds, on souhaitait pour certains amis le prompt affranchissement d’atroces souffrances, on n’aurait pas voulu rappeler les morts à la vie… On s’exposait à tous les genres de péril pour étourdir son anxiété. » Aussi personne n’accueillit-il avec plus de joie la nouvelle que tant de souffrances allaient finir, et que les généraux français entamaient des négociations. Le 20 juillet, une première démarche fut tentée par les assiégés ; le 22, après un bombardement des plus violens, ils renouvelèrent leurs ouvertures. Goethe vit arriver au quartier principal du roi de Prusse le général Doyré, qu’il nous représente comme un homme d’un certain âge, bien fait, svelte, très simple dans sa tenue et dans ses manières. Le soir même, on convint d’un armistice pour discuter les termes de la capitulation. Le poète, montant à cheval, se rendit aussitôt à la porte de Mayence, où il trouva une foule anxieuse qui attendait le résultat. Les espérances qu’il apportait furent reçues par des acclamations. Déjà un grand nombre de personnes assiégeaient l’entrée de la ville pour rentrer dans leurs maisons abandonnées et apporter des vivres aux habitans. Le 23, les alliés prirent possession des ouvrages extérieurs de la place et des fortifications de Cassel ; le 24 commença le départ des troupes françaises, qui obtenaient de sortir avec armes et bagages, avec tous les honneurs de la guerre, sous la seule condition de ne pas servir pendant un an contre les alliés.