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vorite, les terrasses, l’orangerie, les jets d’eau, les cabinets de verdure, les vertes allées qui autrefois décoraient ces beaux lieux. Les pierres de la Chartreuse avaient servi à construire une redoute, et tout auprès un couvent de religieuses tombait en ruines. Parmi les œuvres d’art et les curiosités de la ville, le monument de Drusus, quoique situé dans la citadelle, avait presque seul échappé à l’atteinte des boulets. La campagne elle-même portait la trace des dévastations de la guerre. Tout autour de Cassel, les arbres fruitiers de la riche vallée du Rhin avaient été sciés à la racine, fichés en terre et enchevêtrés les uns dans les autres pour opposer un obstacle aux attaques de la cavalerie. Ces nécessités d’un siège que les Parisiens ne connaissaient autrefois que par l’imagination, nous les connaissons maintenant par expérience. Nous aussi, comme la plus modeste des forteresses, nous avons fait le sacrifice de ces parcs et de ces promenades où l’hiver dernier se donnaient encore rendez vous toutes les élégances de l’Europe. Bien des choses qui ne nous apparaissaient que dans le lointain vague de l’histoire nous apparaîtront maintenant avec le caractère positif de la réalité. Nous saurons par exemple quelle somme de souffrances et de privations une ville assiégée peut supporter sans que les courages y soient abattus, sans que les volontés y fléchissent.

La majeure partie des habitans de Mayence, favorable aux Français et surtout gagnée par les idées de la révolution, avait accepté courageusement les épreuves du siège. Si l’on ne souffrait pas pour la patrie, on croyait souffrir pour une cause aussi sainte, pour la liberté des peuples, pour les droits nouveaux de l’humanité. En échange du dévoûment que la ville avait témoigné à la France et des sacrifices que lui avait imposés l’occupation française, il était naturel que Merlin n’oubliât pas, avant de partir, ceux qui avaient servi notre politique. Il avait à les protéger contre de redoutables vengeances. Beaucoup d’habitans qui, par haine de la révolution, par crainte du parti populaire, avaient quitté la place au moment où nous y entrions, y rentraient maintenant en vainqueurs avec l’armée prussienne. La différence d’opinions qui divisait la France en partisans de l’ancien et du nouveau régime se reproduisait ici sur un plus petit théâtre. Les clubistes, — c’est ainsi que Goethe les appelle, — avaient triomphé tant que les Français étaient les maîtres ; leurs adversaires triomphaient à leur tour, et rapportaient de leur exil momentané un vif désir de représailles, des sentimens de vengeance analogues à ceux qui animaient contre les jacobins les émigrés de l’armée de Condé. Dès le jour même où la capitulation fut signée, on les voyait accourir des villages voisins, assiéger les portes de la ville, annoncer tout haut leurs projets. Ils eussent voulu qu’on ne laissât sortir de Mayence que les soldats français,