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II.

Le début du Kalevala est grandiose ; toute une cosmogonie y sert de cadre à la naissance du principal héros ou demi-dieu. Seule à seule viennent les nuits, dit le poète inconnu ; seul à seul brillent les jours, et seul, c’est-à-dire sans doute antérieur à la nature, a été enfanté Wäinämöinen ; seul est né le vieux chanteur, — né vieux en effet, comme nous le verrons plus tard. Sa mère, la fille d’Ilma, la belle vierge de l’air, avait longtemps vécu dans une constante virginité, au milieu des vastes contrées de la voûte aérienne. Elle se fatigue enfin de vivre perpétuellement seule et vierge dans les espaces déserts. Elle quitte ses hautes régions, elle descend vers la mer, sur la croupe blanchissante des vagues. Aussitôt un vent impétueux, un fort vent d’orage, souffle du côté de l’Orient ; il fait écumer la mer au loin, il chasse la vague, qu’il fouette ; la fille de l’air est bercée, elle est ballottée par les flots autour des golfes bleus, parmi les cimes écumantes, et le vent la caresse, et la mer la rend féconde. Elle porte son sein chargé, elle porte son lourd fardeau durant sept siècles, durant neuf vies d’homme, et cependant nul fruit ne se détache d’elle. La reine de l’onde est jetée à l’est et à l’ouest, au nord et au sud, vers tous les coins du ciel, avec de violentes douleurs dans son sein, qui ne peut se délivrer. Elle verse des larmes silencieuses, et dit : Malheur à moi ! Combien sont tristes mes jours et combien triste ma course errante ! Ukko, dieu suprême, toi qui supportes la voûte des cieux, viens ici où l’on t’appelle, mets fin à mes douleurs ! — Un instant, un court instant s’écoule, et soudain apparaît une mouette voletant à tire-d’aile qui cherche où poser son nid. Elle vole ici et là, et ne trouve aucun lieu, pas la plus petite place où construire son nid, où se préparer un refuge. Longtemps elle plane, examine et médite : « M’établirai-je dans les régions du vent ou bien sur les vagues ? » En disant ces paroles, voici que la reine de la mer, la vierge de l’air, élève son genou au-dessus de la surface de l’Océan. C’est une place pour le nid de la mouette, un refuge au bon oiseau. La mouette vole lentement à droite et à gauche ; elle remarque enfin le genou de la fille d’Ilma sur la mer bleue ; elle le prend pour un tertre de verdure, pour une motte de frais gazon. Lentement il vole, le bel oiseau, d’un côté, puis de l’autre ; il s’abat enfin, construit son nid, et y dépose ses œufs : il y en a six qui sont d’or, le septième est de fer. La mouette ensuite commence à couver. Elle couve un jour, puis deux, puis trois ; mais alors la reine de la mer, la fille de l’air sent dans son genou une vive chaleur, comme une flamme dans sa chair, comme un incendie dans ses veines. Elle replie précipitamment son genou et secoue tous ses membres, de sorte que les œufs