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leurs en eux-mêmes leurs preuves d’authenticité : les plus frappantes sont ce commerce intime et familier avec la nature et ce redoublement continuel d’expressions qui paraissent étrangères aux temps modernes. Maintenant, si nous admettons qu’à première vue et considéré dans son ensemble, le Kalevala paraisse évidemment authentique, cela ne veut pas dire que chacun des chants transmis n’ait pu subir des transformations ou des modifications même récentes ; les variantes qu’on en a recueillies ne permettent guère d’en douter. Il faudrait, pour que la démonstration d’authenticité fût complète à l’égard de toutes les parties, pouvoir déterminer par qui et dans quel temps ces poésies ont été composées. Par qui ? Il est inutile même de le demander, si nous sommes, comme c’est le cas, en présence de poésies vraiment nationales et populaires, issues d’époques primitives, c’est-à-dire ayant leurs racines dans la conscience des peuples et devant rester anonymes. En quel temps ? Comment arriverait-on à le préciser ? Tout ce que nous pouvons reconnaître, c’est que nous avons là, sauf quelques additions ultérieures, un legs de l’époque païenne, qui s’est prolongée pour les Finlandais tout au moins jusqu’au xie siècle. Certaines adjonctions chrétiennes sont trop aisément visibles.

Le temps n’est probablement pas venu d’ailleurs d’appliquer au Kalevala les procédés d’une critique vraiment scientifique. Si les chants qui le composent nous étaient arrivés par des manuscrits plus ou moins anciens, nous aurions recours aux moyens ordinaires. Cherchant d’abord à établir la généalogie de ces manuscrits, nous parviendrions à savoir lesquels seraient les plus voisins du texte primitif. Une série de tels monumens nous eût permis, suivant les dates, de suivre le progrès de la tradition. On ne peut s’empêcher tout au moins de regretter que M. Lönnrot ne nous ait pas fait connaître ces poésies sans rien changer à la forme sous laquelle il les recueillait. Mac Pherson a causé un grand dommage à sa propre réputation et à la postérité, s’il est vrai qu’il ait détruit les manuscrits gaëliques d’Ossian, dont il se faisait le très imparfait traducteur. M. Lönnrot n’a pas eu à traduire, cela est vrai, il n’a voulu être que transcripteur fidèle ; cela n’empêche pas qu’il a rempli le rôle difficile de diascévaste, sans nous mettre à même d’apprécier la manière dont il s’en acquittait. Ce furent les diascévastes, chez les anciens Grecs, qui se chargèrent de mettre en ordre les poésies homériques, de choisir parmi les variantes, d’instituer des divisions, de disposer des séries. Comment éviter en une fonction si délicate tout soupçon d’arbitraire ? qui a inventé le titre sous lequel nous apparaît aujourd’hui l’épopée finnoise ? qui a divisé cette épopée en un certain nombre de chants, vingt d’abord, cinquante ensuite ? qui a disposé les matières selon un plan qui