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plus vraies qu’elles sont plus simples. La conduite du 106e et du 116e à l’attaque de la Gare-aux-Bœufs, celle du 72e à Bondy, la bonne contenance des trente-trois bataillons qui étaient de réserve derrière l’armée du général Ducrot au 2 décembre, sont du meilleur augure. Les défaillances individuelles du reste n’ont que peu d’influence à la guerre ; ce qui importe, c’est la disposition de la masse. La fuite ridicule de quelques tirailleurs aux avant-postes de Créteil n’est qu’une exception ; on ne doit rien craindre de semblable de la grande majorité des bataillons. Dans presque tous, on trouve des élémens qui sont une garantie de solidité et décourage. Des volontaires, dont quelques-uns illustres, ont pris l’habit du simple soldat, — des hommes réfléchis qui savent pour quelle cause ils combattent, ou simplement des esprits cultivés qui seront braves par bonne éducation, parce que ne l’être pas serait manquer au bon goût. Un élément excellent aussi, c’est l’ouvrier instruit qui a la rage dans le cœur, qui ne peut comprendre nos défaites, et qui se ferait tuer plutôt que d’avouer que la victoire ne doit pas nous revenir ; c’est encore l’ancien cultivateur de la banlieue qui s’est réfugié à Paris, qui a tout perdu, loge avec sa famille dans une gare ou dans une maison d’emprunt, et brûle de se venger. Il est d’ailleurs un signe qui ne trompe pas ; aux avant-postes, les plus pessimistes n’oseraient parler de leurs appréhensions sur le résultat final de la lutte, chercher à les justifier par des raisonnemens. On s’occupe peu de politique, on calcule moins encore les forces prussiennes : on croit que le jour de la lutte ne tardera pas, et en attendant on prend le temps comme il vient.

Il est des compagnies et même des bataillons de mobilisés qui ont la démarche et la conduite de vieilles troupes ; mais tout le monde sait tirer un coup de fusil, et pour la guerre que nous faisons à cette heure cela suffit. À ce point de vue, les mobiles et presque toute l’armée de Paris n’ont sur les mobilisés qu’un mois ou deux d’avance. Les tranchées et les grand’gardes contribuent du reste beaucoup à former les bataillons de marche. Au rapport de tous les chefs, la vie d’avant-poste change les hommes ; l’on prend les qualités militaires par cela seul qu’on mène la vie du soldat. Les premiers jours, tout est incertain, quelquefois même irrégulier et désordonné ; mais après une semaine le changement est complet : en face de l’ennemi, le sérieux est une nécessité, et les moins bien préparés se corrigent eux-mêmes sans y penser.

Les deux plaies dont il faut guérir certains bataillons, ce sont les mauvais officiers et la manie de boire. Les bons capitaines font les bonnes compagnies. On a vu qu’au 9 décembre le gouvernement avait pris le droit de nommer seul les lieutenans-colonels ; devait-il