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des habitans de la banlieue, à des personnes de toute sorte ; les gens sans aveu savent aussi qu’ils peuvent, compter sur l’état des sentinelles et même des chefs de poste, qui se mettent quelquefois, par des visites répétées au cabaret, hors d’état de savoir ce qu’on leur dit. Il ne suffit pas dans bien des cas de révoquer un capitaine ou un commandant qui s’est oublié à trop boire ; cette humiliation est une peine trop faible. Devant l’ennemi, l’ivresse est un crime ; elle prive le commandant de la raison dont il a besoin pour exécuter les ordres qu’il reçoit. L’officier qui se met par sa faute dans l’impossibilité de remplir son devoir est aussi coupable que le soldat qui se mutile pour échapper à ses obligations civiques. Il doit être déféré aux tribunaux militaires. Il est d’ailleurs juste de remarquer qu’aux avant-postes les cas d’ivresse tendent à devenir de jour en jour moins nombreux : la rareté du vin y est pour quelque chose ; l’autorité militaire pourrait sans scrupule hâter la réforme, qui est en bonne voie, en prenant des mesures sérieuses à l’égard des débitans de boisson. Je ne sais non plus si le bien-être des gardes mobilisés perdrait beaucoup à la suppression de ces cantinières élégantes, la plupart d’origine inconnue, qui pourront trouver leur place dans l’histoire anecdotique du siège de Paris, mais qui n’ont rien à faire pour le moment au milieu d’hommes occupés d’un devoir sérieux. Nos défauts tiennent de bien près à nos qualités, notre insouciance et notre légèreté ont du bon : la souplesse de notre esprit si flexible, la facilité avec laquelle nous reprenons courage pour les plus périlleuses entreprises, sont des qualités qui disparaîtraient, si on nous enlevait ce goût de l’entrain, cette gaîté, qui sont le fond de notre nature ; mais sans nous changer du tout au tout, sans nous effrayer de ce reproche d’aller à la guerre comme au bal, nous payons cher nos défauts à cette heure, et le mal ne serait pas grand, si nous les traitions pour quelque temps avec une rigueur d’exception qui n’engagerait rien pour l’avenir.

On a signalé plusieurs actes de pillage dans les campagnes de la part des mobilisés. Quelque retentissement que la presse leur ait donné, ces actes sont peu nombreux. Il est certain que les natures peu cultivées n’ont pas toujours un sentiment, très vif de ce qu’il y a d’odieux dans la destruction pour le plaisir de détruire. Un de ces jours derniers, nous rencontrons aux avant-postes une brave femme qui venait revoir sa maison ; elle y avait laissé un petit ménage d’ouvrier très comfortable, acheté au prix d’un long travail et pièce à pièce. C’était la fortune de la famille. L’escalier était enlevé, ce qui semblait de mauvais augure. Nous parvenons jusqu’aux pièces d’habitation : tout, même les planches du parquet, avait disparu, Devant les larmes de cette femme, un des gardes du cantonnement,