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landwehr va jusqu’à trente-deux ; mais cette loi ne désorganise en rien la vie scientifique, commerciale et industrielle de l’Allemagne, elle est même conçue de telle sorte que toutes les forces intellectuelles du pays concourent au progrès de l’armée. Quiconque avant dix-neuf ans peut passer un examen qui suppose un degré réel d’instruction a le droit de s’engager dans l’armée active pour un an. Ces engagemens faits dans telle ville qu’on choisit (on sait que les corps sont provinciaux) permettent au jeune homme de passer successivement par l’école du soldat, du caporal et du sergent, tout en continuant ses occupations ordinaires, qui ne sont que ralenties. Après cette année, l’engagé volontaire devient officier dans la landwehr. De cette façon, l’armée prussienne est toujours soumise au contrôle et à la critique d’hommes instruits qui ne sont pas seulement soldats, qui peuvent tout juger, tout signaler, éclairer sans cesse l’opinion militaire ; de cette façon aussi, pendant que les officiers de l’armée active sont des élèves des écoles spéciales qui font des armes leur état, ceux de la landwehr appartiennent à l’élite de la nation. De là sans aucun doute les qualités scientifiques d’une armée qui peut comprendre le peuple entier sans empêcher ce peuple de répandre son ardeur dans tous les ordres de l’activité humaine.

De ceux qui partent à cette heure, combien sont les favorisés de l’intelligence et de la fortune ! Artistes, savans, avocats, hommes politiques, grands industriels, ils ont répondu aussitôt à l’appel de la loi. Ils pouvaient se payer de sophismes ; ils pouvaient se dire que, dans ce temps de ruine générale, nous devions au moins sauver le capital intellectuel de notre pays, et avec un peu d’habileté nombre d’entre eux fussent restés loin de la lutte. Ils ont pensé que, dans ces jours douloureux, le capital moral de la France avait seul une valeur. S’ils tombent, d’autres les remplaceront ; quand les générations sont viriles, l’efflorescence des beaux talens est inépuisable. Le cœur vaut mieux que l’esprit, ou plutôt c’est le cœur qui est la source où l’esprit retrouve des forces toujours vives. Ils savent que c’est par le caractère que nous avons péché, que le défaut de sérieux dans la nation a seul amené les maux qui nous éprouvent, qu’au lendemain de la victoire ce qu’il nous faudra surtout, ce sera une volonté ferme, l’habitude d’affirmer et de défendre ce que nous croyons être le bien. Ces luttes étranges et sanglantes, que le bon sens trouve insensées et qu’une raison supérieure déclare nécessaires, seront une école où ils verront ce qu’ils valent, où ils sentiront renaître, grandir toutes ces qualités qui sont la dignité de l’homme, et qui auraient peut-être péri, si un souffle vivifiant et cruel ne leur eût rendu en un jour toute leur sève, toute leur vigueur. Et à côté du courage qui sacrifie les projets d’intelligence, les rêves de philosophie et d’art,