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d’être une émanation vivante de l’esprit national épuré et affranchi de tout esprit de faction. M. Gambetta, dans une de ses dernières dépêches, le dit et le répète avec une sorte d’insistance : « La France est complètement changée depuis deux mois Le pays tout entier est exclusivement absorbé par les préoccupations de la guerre. » C’est vrai à Paris comme dans les provinces. Ici, comme dans toute la France, l’unique préoccupation est de chasser l’étranger, et ce n’est pas avec des communes et des parodies révolutionnaires qu’on peut espérer détourner ou émouvoir pour longtemps cette population sensible à l’outrage d’une invasion cruelle. Décidément le roi Guillaume disait plus vrai qu’il ne croyait peut-être, c’est une guerre nouvelle qui commence, la guerre du patriotisme contre l’étranger, et, sans céder encore à des illusions décevantes, nous pouvons nous reprendre à l’espérance sur la foi des récens messages de M. Gambetta. Ces armées que raillait M. de Bismarck ne sont plus tant à dédaigner, et les armées prussiennes à leur tour ne sont peut-être plus aussi triomphantes, Les Allemands ont quitté Rouen, non sans avoir pillé la ville, bien entendu, puisque c’est maintenant leur système de guerre. Au nord, le corps de Manteuffel a été battu sous Bapeaume par le général Faidherbe, qui continue sans doute ses mouvemens. Dans l’est, il doit se passer des événemens assez graves, dont le combat de Nuits a été le signal. M. Gambetta représente ce combat comme un avantage des plus sérieux, remporté par le jeune général Cremer et par Garibaldi ; les journaux prussiens le représentent comme une victoire de l’armée allemande du général de Werder. Ce qu’il y a de certain, c’est que cette prétendue victoire allemande a forcé le général de Werder à se replier aussitôt sur Dijon, puis sur Gray, puis sur Vesoul, et que dans ce mouvement de retraite les Allemands sont suivis par des forces considérables qui semblent ce porter vers l’est, sous les ordres du général Bourbaki. La Loire se trouve en même temps un peu dégagée. L’armée du prince Frédéric-Charles paraît s’être repliée, et à l’ouest le général Chanzy était prêt dès le 1er janvier à reprendre l’offensive avec ses forces reconstituées et accrues. En définitive, ce sont trois armées françaises nombreuses, déjà suffisamment aguerries et combinant évidemment leurs opérations. De tout cela, il résulte que notre situation prend de jour en jour une face nouvelle. Nous ne savons pas si les Allemands ont perdu près d’un demi-million d’hommes, comme on nous dit ; dans tous les cas, ils ont certainement subi de grandes pertes ; ils sont éprouvés et fatigués par six mois de guerre, et nous commençons à peine à rentrer en campagne avec de jeunes armées pleines de foi et d’élan, qui ont déjà montré ce qu’elles valaient. Les ressources de la Prusse en hommes, en matériel, doivent nécessairement s’user ; les nôtres s’accroissent chaque jour, la vivace puissance de notre pays n’est pas près de s’épuiser. Tout a singulièrement changé en ces quelques mois, rien n’est plus cer-