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lancé dans cette entreprise, dont l’énormité l’épouvante : il faut le calmer, lui donner des raisons, discuter devant lui. Que lui dit-on ? Ose-t-on le leurrer tout à fait, simuler la sécurité, professer l’optimisme ? Non, on s’en garde bien. Sans rien assombrir, on affecte de tout révéler, de dire les choses telles qu’elles sont, comme pour préparer à ce qui pourrait encore advenir de plus grave. Ainsi complet aveu de l’erreur fondamentale : il est très vrai qu’on s’est trompé : on ne s’attendait pas, en continuant la guerre, que la France acceptât si mal l’invasion, qu’elle put, sous la conduite d’un pouvoir de raccroc, sans racines et sans consistance, concevoir la pensée de disputer son territoire à des armées victorieuses si puissantes et si aguerries. C’est pourtant là ce qui arrive : c’est la France, c’est bien elle, qui se lève en armes presque partout et fait des efforts surhumains. Des corps considérables et même déjà solides manœuvrent sur divers points et convergent vers la capitale. La situation serait donc pour les forces allemandes tout au moins difficile, peut-être même périlleuse, et l’émotion de l’Allemagne trop justement fondée, si par bonheur tout cet ensemble d’appréhensions ne tenait à une cause unique, laquelle en disparaissant fera tomber l’échafaudage, et toute crainte aura cessé.

Cette cause unique, quelle est-elle ? La résistance de Paris. Que cette résistance soit brisée, que Paris succombe, et on répond de tout. Le jour où la capitale aura cessé la lutte, l’Allemagne peut considérer la guerre comme terminée. C’est Paris seul, c’est son prestige, c’est l’espoir de le conserver qui galvanise et fanatise cette nation affolée. La vigueur même, l’étonnante énergie qu’en ce moment elle déploie, et qu’on est loin de méconnaître, ce n’est qu’un feu passager : la capitale morte, cette ardeur tombera. Toute puissance de résistance morale sera comme anéantie. Plus de combats partiels : le but unique étant atteint, ils n’auront plus de raison d’être : la France se déclarera vaincue, ainsi le veut l’histoire, ainsi l’ethnologie : l’histoire, car en 1814 et en 1815 les choses se sont ainsi passées : elles se passeront de même en 1871 ; l’ethnologie, car la nation française ne possède pas « les facultés caractéristiques qui prédisposent à une résistance purement défensive, soutenue et tenace. »

Tel est le docte roman qu’on sert aux Berlinois et aux alliés du sud comme fiche de consolation, pour leur faire accepter les vérités amères qu’on vient de confesser. Il y a péril, leur a-t-on dit ; mais voici le remède, remède souverain, ne vous alarmez pas. — Tout à l’heure, cher monsieur, si vous le permettez, nous dirons deux mots du roman, et nous en aurons bon marché, je pense, malgré l’histoire, malgré l’ethnologie. Nous verrons si, même Paris tombé, les choses se passeraient en France comme on veut le faire croire ; mais parlons d’abord de Paris : comment se propose-t-on de briser sa résistance ? Est-ce par le blocus avec espoir de l’affamer ? Non, ce serait trop lent ; le temps