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litique prussienne, on ne peut nous cacher quel souffle ambitieux passait déjà sur l’Allemagne, comment poètes, écrivains, professeurs, semaient dans les âmes allemandes les germes de la défiance et de la haine contre leurs voisins de France. Par son active propagande, le « parti des professeurs » préparait la voie aux sentimens belliqueux du « parti des hobereaux, » et le Professorthum travaillait pour le Junckerthum. Cette guerre de races se préparait lentement par l’exaltation de la « nation allemande. » Rencontre étrange, ceux qui faisaient sonner le plus haut les mots de « nationalité allemande, » ce n’étaient pas les populations foncièrement germaniques de la Souabe ou de la Franconie, c’étaient les Slaves germanisés du nord-est de l’Europe centrale que l’ordre teutonique fut si lent à civiliser. À les entendre, — Borusses de la Prusse, Kassoubes de la Poméranie, Obotrites du Mecklembourg, Wilziens du Brandebourg, Polonais de la Silésie, Wendes de la Lusace, — la race allemande était supérieure aux autres races de l’Europe par un heureux mélange de toutes les qualités physiques, morales et intellectuelles, sans l’ombre d’aucun défaut. Comme un métal précieux se dégage par la fusion d’un alliage impur, ainsi la race allemande devait-elle s’élever au-dessus des différens états où elle s’est infiltrée, et former un jour un « état allemand. » Cedite, Romani ! Les Allemands sont-ils établis quelque part où l’élément slave indigène n’a pas perdu la prédominance du nombre, eh bien ! les Slaves seront germanisés pour leur plus grand bien et pour le plus grand honneur de l’Allemagne. Les nations slaves, nous dit-on à satiété, sont encore barbares, et les nations romanes sont corrompues ; la civilisation allemande doit régénérer l’Europe romane et slave, comme la barbarie germanique a rajeuni le monde romain. Principalement depuis quelques années, depuis que la création de la confédération de l’Allemagne du nord a donné un point d’appui aux prétentions du pangermanisme, cet esprit ambitieux s’est propagé avec rapidité dans la littérature allemande. Livres et journaux l’ont répandu dans toutes les couches de la société allemande, et ont cherché à en pénétrer les classes jusqu’ici indifférentes à la vie politique. Parmi toutes ces publications, signe des temps, aucune ne nous semble plus digne d’attention qu’un livre de M. Richard Bœckh sur la statistique de la race et de la langue allemandes dans les états européens, livre publié au début de l’an 1870. Fils du célèbre helléniste de ce nom, M. Richard Bœckh passe pour un des statisticiens les plus éminens d’outre-Rhin. Cet ouvrage ne se recommande pas moins par son mérite intrinsèque que par le nom de l’écrivain. C’est, par les nombreux renseignemens qu’il renferme, une mine abondante de matériaux pour la polémique