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et celle-ci ne peut jamais suffire à la donner. Les modernes ne voient dans la rhétorique qu’une série de remarques sur les procédés que l’esprit humain emploie de préférence quand il veut réussir à communiquer ce qu’il croit être la vérité, à entraîner et à dominer d’autres intelligences ; ils y trouvent surtout cet avantage qu’elle fournit l’occasion de former le goût des jeunes gens, qu’elle fait passer sous leurs yeux les plus beaux traits des orateurs, les chefs-d’œuvre de l’éloquence. À proprement parler, elle ne comporte pas de règles et de préceptes, mais elle suggère des observations, et, pour celui qui veut apprendre à écrire ou à parler, elle éveille la sagacité, elle devance et prépare l’expérience. Aux yeux des anciens, c’était bien autre chose ; pour ces esprits à la fois raffinés et encore naïfs, celui qui aurait été maître de tous les secrets de la rhétorique se serait, par là même, rendu maître de toutes les intelligences et de tous les cœurs : il en aurait eu, pour employer une expression vulgaire, mais qui rend bien leur pensée, la clé dans sa poche. C’était là un idéal dont chaque rhéteur en renom prétendait approcher d’un peu plus près que ses devanciers ; Antiphon ne pouvait donc manquer d’écrire sa techné ou son manuel de l’art. Nous savons en effet qu’il avait laissé une rhétorique en trois livres ; mais il n’en est rien arrivé jusqu’à nous.

Une question délicate, déjà douteuse pour les anciens, c’était de savoir s’il fallait attribuer à Antiphon de Rhamnunte, le célèbre orateur, un traité en plusieurs livres qui avait pour titre : Discours sur la vérité, et qui existait encore à l’époque romaine. Les courtes citations qui nous en sont parvenues ne nous permettent pas de juger du style de cet ouvrage ; mais Hermogène, qui l’avait sous les yeux, affirme que la diction en différait sensiblement de celle qu’il était accoutumé à trouver dans les plaidoyers d’Antiphon, et c’était aussi l’avis de Didyme, un des plus savans grammairiens de l’antiquité. Il semble bien y avoir eu, tous deux contemporains de Socrate, deux Antiphon, l’un l’homme politique, l’orateur que nous étudions, l’autre un simple sophiste, qui s’était occupé surtout d’interpréter les prodiges et les songes ; il cherchait, autant que nous pouvons en juger d’après de rares débris, à en bannir le merveilleux, à en donner des explications qui eussent un caractère scientifique. D’après ce qu’en dit Celse, ce serait une sorte de précurseur d’Épicure. Comme presque tous les philosophes grecs, il avait mêlé dans son livre la métaphysique à des théories de physique générale.

Il y a là une direction d’esprit qui s’écarte de celle de notre orateur, tout entier tourné vers les luttes judiciaires et politiques, tout épris de l’art auquel ceux qui le cultivent devront le premier rang dans la cité. Xénophon nous rapporte une conversation, qui ne