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de la guerre avait été circonscrit, afin d’en limiter les ravages, comme on fit dans l’expédition de Grèce, à l’époque du siège d’Anvers et pendant la dernière guerre d’Orient, où les hostilités furent bornées aux côtes de la Mer-Noire et de la Baltique, avec cette convention tacite, que l’issue devait dépendre du siège de Sébastopol. Et non-seulement les guerres continentales, mais encore les guerres maritimes s’étaient ressenties de cette influence bienfaisante. Nous avions souscrit, contre notre intérêt politique, à l’abolition de la course maritime ; nous avions reconnu au droit des neutres une extension que les belligérans d’une autre époque lui avaient constamment refusée ; nous avions admis les étrangers à la plus large participation de droits civils que jamais peuple ait accordée, et nous avions poussé l’abnégation jusqu’à sacrifier les intérêts séculaires de notre industrie nationale à la propagation de la liberté des échanges avec nos voisins. L’Allemagne était même devenue pour nous, depuis la paix générale de 1815, la plus sympathique des nations, la plus affectionnée de toutes les classes de la population européenne. La postérité pourra-t-elle croire au revirement si brusque et si peu motivé de l’Allemagne à notre égard ? Une guerre effroyable a été engagée sans que les griefs positifs en fussent déterminés, et sans que la voix de la raison et du droit ait pu être entendue pour en circonscrire les ravages.

Après Sedan, quel pouvait être le but avouable de la continuation de la guerre ? Était-ce la France ou bien son gouvernement qui avait déclaré la guerre ? et, le gouvernement étant tombé, où était le prétexte de la prolongation des hostilités ? Le droit des gens moderne condamne comme injuste une guerre qui peut être évitée. La prolongation pouvait-elle être évitée ? Oui, selon les lois de la modération ; donc elle était injuste. On s’est refusé, dit-on, à une légitime exigence de l’Allemagne, et la guerre a dû suivre son cours. Cette exigence était-elle légitime ? Là est le problème. Le droit dit qu’elle était inique, le sentiment public dit qu’elle était impolitique. Le bon sens proclame qu’elle était déraisonnable, et l’histoire jugera, l’histoire, qui est le grand tribunal des peuples et des rois. À son départ de Saarbruck, le roi Guillaume adressait au peuple français une (proclamation dans laquelle il disait : « Je fais la guerre aux soldats, et non aux citoyens français. » Et cette déclaration a été répétée en Lorraine par un autre prince. Cependant, après Sedan, et dans une circulaire datée de Meaux, le 10 septembre, M. de Bismarck faisait entendre ce langage hautain et nouveau : « que la nation française se persuade bien que, comme elle a seule déchaîné la guerre par son bon plaisir, elle doit aussi régler seule son compte avec l’Allemagne. » Ainsi à Saarbruck c’était au gouvernement de la France que l’Allemagne faisait seulement la guerre. Après la dé-